Les Européens tentent d’encadrer la position américaine sur l’Ukraine avant le sommet entre Donald Trump et Vladimir Poutine
Dans une déclaration commune signée samedi, les dirigeants français, italien, allemand, finlandais, polonais et Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, ont rappelé que les « frontières internationales ne doivent pas être modifiées par la force ». Une réunion extraordinaire des ministres des affaires étrangères des Vingt-Sept se tiendra lundi.

Le paradoxe européen est une nouvelle fois en évidence à l’approche d’un sommet crucial en Alaska, vendredi 15 août, entre Donald Trump et Vladimir Poutine. Indispensables pour la mise en œuvre d’un hypothétique plan de paix en Ukraine, les Vingt-Sept sont à la remorque d’une administration américaine impulsive et pressée d’en finir avec un conflit qui s’éternise.
Une réunion extraordinaire, par vidéo, des ministres des affaires étrangères de l’Union européenne (UE) se tiendra, lundi 11 août, pour réaffirmer de façon solennelle les positions communes. Le sommet entre le président américain et son homologue russe, lui, demeure dans une brume épaisse, tant sur le format, la présence d’autres participants éventuels que les contours d’un accord.
A la suite d’une nouvelle visite de l’envoyé spécial américain Steve Witkoff à Moscou, où Vladimir Poutine aurait montré une légère ouverture tactique aux négociations, le vice-président, J. D. Vance, s’est rendu au Royaume-Uni le 9 août. Il y a été accueilli à Chevening, dans le Kent, par le chef de la diplomatie britannique, David Lammy, avec lequel il entretient une excellente relation. Andriy Yermak, chef du cabinet de Volodymyr Zelensky, représentait l’Ukraine. De hauts diplomates des principaux pays de l’UE étaient présents.
Du côté américain, l’idée d’une conférence vidéo entre Donald Trump, Volodymyr Zelensky et les Européens a été suggérée avant le sommet en Alaska, afin de consolider une position commune. Mais, selon nos informations, la Maison Blanche, à ce stade, n’a pas validé cette option. Le Royaume-Uni tente de faciliter cette synthèse, grâce à sa relation privilégiée avec les Etats-Unis.
Pour Paris, Londres et Berlin, la priorité demeure, depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche en janvier, d’afficher un front commun concernant l’Ukraine. La perspective américaine est différente. Selon un diplomate européen, Donald Trump estime que seul un tête-à-tête avec Vladimir Poutine en Alaska permettra de vérifier si le président russe est prêt à une vraie négociation, avec des échanges de territoires aux contours encore incertains, ou bien si son dessein demeure de compromettre l’existence même de l’Ukraine.
Moment de vérité
La Maison Blanche croit dans son pouvoir de persuasion et estime que la brutalité des droits de douane supplémentaires et inattendus infligés à l’Inde il y a quelques jours en raison de ses achats de pétrole russe est un message clair adressé au Kremlin. De nouvelles sanctions américaines contre Moscou auraient une envergure inédite, en cas de blocage.
Ce moment de vérité en Alaska doit-il se passer en présence de Volodymyr Zelensky, même s’il était physiquement cantonné à un autre bâtiment ? Le chancelier allemand, Friedrich Merz, en a formulé le vœu, sur la chaîne ARD. Les échanges diplomatiques se poursuivaient pendant le week-end à ce sujet. Dans un entretien à la chaîne conservatrice Fox News, dimanche, J. D. Vance a présenté Donald Trump comme étant le seul à pouvoir « forcer » les deux protagonistes du conflit, l’agresseur russe et la victime ukrainienne, à s’asseoir à la même table pour trouver un compromis et arrêter les combats. « Ça ne va rendre personne super heureux », a-t-il résumé, au sujet d’une solution négociée autour de la ligne de front.
Heureux, les Européens ne le sont guère, tendus par le caractère dramatique de l’instant, avec le sentiment d’en être en partie les spectateurs. Certes, ils mettent en avant les leviers qu’ils pourraient actionner, par un assouplissement graduel des sanctions économiques contre Moscou ou par leur durcissement, par exemple. Mais le format envisagé pour le sommet en Alaska rappelle le rôle décisif de Washington.
« Cela fait longtemps que l’UE a abandonné l’initiative, commente Sven Biscop, directeur de l’Institut Egmont, et professeur à l’université libre flamande de Bruxelles. Sans élaborer de stratégie claire, sans même discuter d’autres options que la victoire ukrainienne, probablement impossible, les Européens ont laissé le champ libre à Donald Trump pour qu’il prenne la main. »
Déclaration commune de dirigeants de l’UE
Aujourd’hui, le principal motif de préoccupation des Européens et de l’Ukraine concerne les territoires que le président américain pourrait pousser son homologue ukrainien à abandonner. « Personne ne sait ce que Trump est prêt à céder à Poutine dans le but de décrocher un cessez-le-feu, qui est son principal objectif politique. Le risque est réel qu’il entérine des demandes russes maximalistes de désarmement de l’Ukraine ou de départ de Volodymyr Zelensky », ajoute Sven Biscop. Pourtant, le sort du dirigeant ukrainien n’aurait pas été avancé comme condition préalable par Vladimir Poutine, face à Steve Witkoff.
Les positions qu’ont présentées, samedi, les Européens, sont bien connues. Il s’agit avant tout de ne pas admettre « l’échange de territoires », proposé par Moscou, comme un préalable à un cessez-le-feu, « car il semble que l’échange proposé soit un échange à sens unique », déplore un officiel européen. Pour les Vingt-Sept, c’est la ligne de front actuelle qui doit servir de point de départ aux négociations, comme l’ont rappelé les dirigeants français, italien, allemand, finlandais et polonais dans une déclaration commune, signée samedi 9 août avec Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, exhortant les Etats-Unis à « faire pression sur la Fédération de Russie ». Le texte rappelait notamment que les « frontières internationales ne doivent pas être modifiées par la force ».
Il y a la Constitution – elle empêche Volodymyr Zelensky de céder une partie du territoire national sans référendum – et il y a la réalité sur le front, où les avancées russes sont faibles et coûteuses en hommes, mais où l’Ukraine semble très contrainte par ses ressources limitées.
Une solution négociée passerait donc par une reconnaissance de cette réalité, sans pour autant obliger Kiev à accepter l’amputation par une reconnaissance légale. Quant aux garanties de sécurité pour l’Ukraine, les Européens insistent pour qu’aucune limitation ne soit imposée à l’Ukraine concernant ses capacités militaires et le soutien reçu de pays tiers, afin de protéger sa souveraineté nationale.
[Source: Le Monde]