La toxicité cachée de certaines citrouilles d’Halloween
« La vie cachée des plantes ». Chaque année, plusieurs dizaines de personnes souffrent de symptômes essentiellement digestifs après l’ingestion de courges non comestibles. L’origine biochimique de cette toxicité végétale est mieux comprise.
Comme chaque année, la veille de la Toussaint voit resurgir ces visages grimaçants, sculptés dans des citrouilles ou des potirons. Pour la plus grande joie des enfants qui aiment à frissonner, et plus encore à courir de porte en porte en exerçant ce terrifiant chantage : « Des bonbons ou un sort ! »
Ce rituel est cependant source de confusions. Le nom d’« Halloween », d’abord : il dérive de termes qui signifient « la veille de tous les saints ». Rien de chrétien, pourtant, dans ce folklore païen, hérité d’une fête celtique. Quant à la tête de cet affreux bonhomme condamné à errer, Jack-o’-lantern, elle n’a pas toujours été creusée dans un de ces fruits orange et rebondi. En Irlande, elle était jadis façonnée dans un navet.
Halloween donne aussi lieu à des quiproquos botaniques. Courgettes, citrouilles et potirons, coloquintes et calebasses, concombres et cornichons, melons et pastèques… Cette famille de plantes, les cucurbitacées, compte quelque 800 espèces, souvent englobées sous le terme de « courges ». La plupart sont originaires des régions tropicales et subtropicales.
Hybridations incontrôlées
Or toutes les cucurbitacées ne sont pas comestibles. « Certaines courges amères peuvent être à l’origine d’intoxications alimentaires parfois graves », alerte l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’environnement et du travail (Anses). Selon une étude rétrospective menée en France, 353 personnes ont contacté des centres antipoison entre 2012 et 2016 pour des symptômes, principalement digestifs, ou une amertume buccale après avoir ingéré des courges non comestibles. « Près de la moitié des dossiers impliquaient plusieurs patients, témoignant du caractère collectif de l’exposition », observe Matthieu Leber dans sa thèse de pharmacie en 2019.
Aucune n’a présenté de symptômes sévères mettant en jeu le pronostic vital, mais 4 % ont souffert de symptômes prononcés : diarrhée sanglante, douleurs gastriques intenses, déshydratation et/ou hypotension, pouvant nécessiter une hospitalisation… D’autres patients subissent des chutes de cheveux massives, associées ou non à des éruptions cutanées ; les médecins mettent alors souvent du temps avant d’envisager une intoxication par des cucurbitacées. Dans 46 % des cas, la courge amère avait été achetée dans le commerce ; dans 54 % des cas, elle provenait du potager familial.
Les espèces incriminées étaient souvent des courges ornementales (coloquintes), toutes toxiques. Mais aussi, plus pernicieux encore, des courges alimentaires cultivées dans le potager familial, devenues impropres à la consommation à la suite d’hybridations incontrôlées avec des courges sauvages ou amères. Le résultat d’une pollinisation furtive par des insectes. Les graines alors récoltées pour être semées l’année suivante pourront, elles aussi, donner des courges toxiques.
Effet irritant
« Enguirlandés de coloquintes vénéneuses, de maigres bras de broussailles soulignent les berges de jadis… », écrit Yasmina Khadra (L’Equation africaine, 2011). Cette toxicité cachée, sous les beaux habits des courges ornementales, les botanistes et les chimistes l’ont disséquée. Elle résulte de l’effet irritant de molécules, les cucurbitacines, qui résistent à la cuisson et à la congélation. Soit un groupe de composés, les « triterpènes tétracycliques », au squelette chimique formé de quatre cycles. Les rouages de l’usine végétale qui les fabrique ont été démontés. Chez les courges amères, ils se forment dès le début de la germination, notamment dans le fruit et les graines. Parmi eux, la cucurbitacine E est responsable de l’amertume.
La mission de ces molécules ? Défendre les plantes sauvages contre les rongeurs et contre les herbivores. A mesure que les humains ont domestiqué les cucurbitacées à usage alimentaire, cependant, ils ont sélectionné des variétés non amères, produisant très peu de cucurbitacines. Leur perte s’est produite à plusieurs reprises de manière indépendante, rendant ces courges non amères plus vulnérables, a priori, aux insectes herbivores.
Pas si simple, cependant. Une équipe suisse, en 2023, s’est intéressée à la courge du Mexique (Cucurbita argyrosperma). Sans surprise, les racines des variétés domestiquées ne contenaient pratiquement pas de cucurbitacines, mais celles des populations sauvages en contenaient de grandes quantités. Paradoxalement, les larves de deux insectes (un coléoptère généraliste, Diabrotica balteata, et un autre spécialiste de cette plante, Acalymma vittatum) préféraient nettement se nourrir des racines des courges sauvages. La présence des cucurbitacines, toutefois, n’affectait que la croissance des larves de l’insecte généraliste, pas celle de l’insecte spécialiste.
[Source: Le Monde]