Quelques fragments de plastique suffisent à tuer des animaux marins

L’analyse post-mortem de plusieurs milliers de tortues, oiseaux et mammifères marins révèle que l’ingestion de plastique est un phénomène répandu et que quelques débris peuvent provoquer la mort.

Nov 19, 2025 - 08:20
Quelques fragments de plastique suffisent à tuer des animaux marins
Tortue verte essayant de manger un sac plastique ressemblant à une méduse. Plongée effectuée entre 3 et 4 mètres, au large des Canaries, le 29 mars 2015. SERGI GARCIA FERNANDEZ / BIOSPHOTO

Difficile d’échapper à la pollution plastique quand on baigne dedans. Une étude internationale publiée lundi 17 novembre dans la revue scientifique PNAS témoigne de l’impact majeur de nos déchets sur la faune marine, qui les ingurgite au risque d’y succomber.

Les résultats, qui reposent sur l’analyse de plus de 10 400 animaux marins de 95 espèces différentes, documentent ainsi la présence de morceaux de plastique dans le tube digestif de près de la moitié des tortues, de plus d’un tiers des oiseaux et de 12 % des mammifères marins retrouvés morts et disséqués au cours des dernières décennies dans le monde. Un constat d’autant plus préoccupant qu’il est probablement sous-estimé, d’une part parce que l’étude se limite aux macroplastiques de plus de 5 millimètres, mais aussi parce que « le fait de ne pas trouver de plastique dans l’intestin d’un animal mort ne signifie pas pour autant qu’il n’en a jamais ingéré ou que sa vie n’a pas été affectée par le plastique », souligne Erin Murphy, responsable de la recherche sur la pollution plastique océanique au sein de l’ONG américaine Ocean Conservancy et première autrice de l’étude.

L’ingestion de ces débris, de forme et d’origine diverses – fragments de ballon en caoutchouc, filets de pêche, bouchons de bouteille, films plastiques… – est la cause directe de la mort de 4,4 % des tortues, de 1,6 % des oiseaux et de 0,7 % des mammifères étudiés, que ce soit par occlusion, perforation ou torsion du tube digestif. Quelques exemples marquent les esprits, comme celui de ce cachalot mort à cause d’un seau d’une vingtaine de litres coincé dans son intestin, de cet albatros ayant succombé à l’ingestion d’une bouteille d’eau en plastique entière, ou encore de ce cadavre de tortue à l’estomac gonflé par l’entassement de huit sacs plastiques.

Mais il suffit parfois de peu. « Nos résultats montrent par exemple qu’un oiseau marin qui ingurgite rien que six morceaux de caoutchouc – chacun pas plus gros en moyenne que la taille d’un petit pois – a neuf chances sur dix d’en mourir », détaille Erin Murphy, précisant que les fragments retrouvés provenaient le plus souvent de ballons décomposés.

Nature du matériau absorbé

A l’aide d’un modèle statistique, l’équipe de chercheurs a mis en évidence que le risque létal dépendait fortement de la nature du matériau absorbé : pour les mammifères, la plus grande menace provenait des films plastiques d’emballage et des débris de pêche, quand, pour les tortues, le plus dangereux était d’ingérer des bouts de plastique dur et des films d’emballage – les juvéniles y étant particulièrement vulnérables.

« Il s’agit à ma connaissance de l’analyse la plus complète à ce jour des mortalités liées à l’ingestion de macroplastiques chez les vertébrés marins », salue Richard Sempéré, océanographe au CNRS et directeur de l’Institut des sciences de l’océan de l’université d’Aix-Marseille, qui n’a pas participé à ce travail. « Peu d’études avaient, jusqu’à présent, tenté d’estimer un seuil de mortalité associé à une charge donnée de macroplastiques, et elles comportaient souvent des limites, comme le fait de supposer que toutes les pièces de plastique présentent le même risque, ou de reposer sur des jeux de données locaux non généralisables », note le chercheur.

L’originalité majeure de cette nouvelle étude réside selon lui dans « l’utilisation d’un modèle statistique robuste qui permet d’estimer la quantité de plastique à partir de laquelle la probabilité de mourir devient élevée, tout en intégrant les nombreux animaux ayant ingéré du plastique sans en mourir » – une approche inédite qui permet « pour la première fois de produire de véritables seuils quantitatifs de risque ».

« Interdire les lâchers de ballons »

Les chercheurs espèrent que leur travail, qui identifie les matériaux les plus préjudiciables pour les animaux marins, servira de socle au déploiement rapide de nouvelles mesures de réduction de la pollution plastique. « Au vu de la menace sérieuse que représente notamment le caoutchouc des ballons pour les oiseaux marins qui les ingèrent, nous pensons qu’il est crucial d’interdire les lâchers de ballons et d’informer les populations sur la pollution environnementale que cela engendre », considère, par exemple, Erin Murphy, qui rappelle que la Floride a voté une loi en ce sens en 2024. En France, vingt et un départements interdisent cette pratique, dont onze depuis 2025, selon un décompte effectué en septembre par l’association Robin des Bois, qui se réjouit de constater que la campagne qu’elle mène depuis plus de vingt ans « porte ses fruits ».

La pollution plastique est « une menace existentielle pour la vie sauvage des océans », tranche la biologiste. Car celle-ci ne se résume pas qu’aux risques associés à l’ingestion de débris, mais intègre également ceux liés à la destruction des habitats, aux problèmes d’enchevêtrements, à la fragmentation en microplastiques ou encore au relargage de contaminants chimiques.

Dans l’étude, près de la moitié des animaux qui avaient ingéré des morceaux de plastique se trouvaient ainsi sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature, ce qui signifie que « l’ingestion de plastique menace des espèces déjà vulnérables », relève la chercheuse. « Pour résoudre ce problème, nous devons réduire la quantité de plastique que nous produisons, améliorer la collecte et le recyclage, et nettoyer ce qui se trouve déjà dans l’environnement, poursuit-elle. Ce à quoi chacun peut contribuer. »

[Source: Le Monde]