Le crépuscule des radios indépendantes locales

Quarante-cinq ans après la légalisation des radios libres, nombre d’entre elles sont menacées faute de financement suffisant. Les coûts augmentent, les aides publiques pourraient être réduites drastiquement et certaines antennes en appellent aux dons pour survivre.

Nov 30, 2025 - 14:02
Le crépuscule des radios indépendantes locales
Pendant l’enregistrement d’une émission dans les locaux de la radio associative Jet FM, à Saint-Herblain (Loire-Atlantique), le 28 avril 2022. JEREMIE LUSSEAU / HANS LUCAS

Vivre FM à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), Radio Vallée de la Lézarde au Havre (Seine-Maritime), Radio Ici & Maintenant ! à Paris, Radio Fusion Paris à Compiègne (Oise)… Toutes étaient des radios locales ancrées dans leur territoire ou leurs quartiers… dont la voix vient de s’éteindre. Depuis 2024, ces quatre antennes ont mis la clé sous la porte pour des raisons financières. Et elles sont de plus en plus nombreuses dans ce cas en France, car les temps sont durs pour les stations indépendantes qui ne font pas partie des grands réseaux nationaux tels que RTL, NRJ, Skyrock, RMC, Europe 1 ou encore Radio France. Quarante-cinq ans après la légalisation des radios libres, ce tissu de petits médias est fragilisé comme jamais.

Rien qu’entre 2023 et 2025 une quinzaine de radios locales associatives ont disparu – leur nombre est passé de 746 à quelque 730 radios aujourd’hui. Située en Ile-de-France, Vivre FM a dû couper le micro en avril 2025, après avoir été mise en liquidation judiciaire. Mais son directeur de l’antenne et des programmes, Jason Jobert, préfère parler du projet de relance de cette radio axée sur l’inclusion et le lien social, plutôt que d’évoquer sa disparition de la bande FM. Son espoir, il le place dans un « radio don », explique-t-il. L’expression désigne un appel aux dons des auditeurs (déductibles des impôts) que lancent de plus en plus de radios associatives, telles que Radio Pulsar à Poitiers, Jet FM à Nantes, Radio Présence à Saint-Gaudens (Haute-Garonne).

Ces campagnes de collecte financière sont, pour certaines antennes, le seul moyen de subsister. Mais elles sont loin d’être la solution miracle et ce premier « radio don » pour Vivre FM ne l’a pas fait renaître de ses cendres. L’objectif était de réunir 15 000 euros avant la fin d’octobre sur la plateforme Helloasso.com pour espérer être rediffusée sur la bande FM. En vain. Reprise par l’association Revivre, elle émet pour l’instant sur Internet. Car faire de la radio coûte cher : 600 euros la journée d’émission, salaires et frais compris, sachant qu’un micro s’achète 350 euros, un casque 130 euros et que pour faire venir, en taxi, une personnalité dans les studios, il faut débourser 100 euros au minimum.

Coup de rabot

Aujourd’hui, les 730 radios locales associatives françaises – près de 600 en métropole et plus de 130 à l’outre-mer – n’existent que grâce au fonds de soutien à l’expression radiophonique locale (FSER) du ministère de la culture. Or, cette enveloppe annuelle – elle est de 35,3 millions d’euros en 2025 – a subi un impressionnant coup de rabot dans le projet de loi de finances 2026 que le gouvernement Lecornu a transmis, le 14 octobre, à l’Assemblée nationale : la réduction drastique était originellement de 44,5 %, à 19,6 millions d’euros.

Le milieu des radios associatives compte sur les parlementaires pour rectifier le tir. Un amendement avait été adopté, le 8 novembre, en commission des finances, compensant la baisse par un mécanisme de transfert des crédits de la culture. Mais après rejet global du projet de loi de finances à l’Assemblée, le 21 novembre, cet amendement est tombé à l’eau. Cependant, cette compensation pourrait être rétablie au Sénat en décembre, le gouvernement y étant favorable.

Déjà, une baisse de 29 % du FSER avait été envisagée dans le projet de loi de finances pour 2025. Mais, sous la pression des députés et des sénateurs, le gouvernement l’avait maintenu in extremis au même niveau qu’en 2024, grâce à une compensation du plan Culture et ruralité porté par la ministre de la culture, Rachida Dati. « Le FSER représente de 40 % à 60 % des financements des radios associatives. Si le fonds baisse d’un tiers, cela impacte de 15 % à 20 % leurs budgets, avec une potentielle perte d’emplois de 1 000 personnes et la fermeture de nombreuses d’entre elles », a mis en garde, le 9 octobre, le député macroniste du Maine-et-Loire Denis Masséglia (Renaissance), lors des états généraux des radios associatives. Et d’appeler tous les éditeurs de radios locales à se mobiliser : « Il y a plus de 730 radios associatives et 577 députés : elles sont plus nombreuses qu’eux ! J’invite chacune à regarder qui est le député ou la députée autour de chez elle, afin de l’inviter à découvrir ce que fait la radio associative au quotidien. »

La Confédération nationale des radios associatives, qui organisait sur deux jours à Paris ces états généraux, tire aussi la sonnette d’alarme : un déclin marqué des radios associatives affaiblirait le lien social dans les territoires. « Nos missions sont essentielles en tant que radio de communication sociale de proximité : lutter contre la désinformation, donner la parole aux habitants, valoriser les réussites locales. Nous sommes parmi les plus vertueux en matière d’économies. Et pourtant, nos moyens baissent et nos factures se sont envolées : électricité, diffusion, studios, salaires… C’est une équation intenable », alerte Siham Mineur, vice-présidente de la Confédération. Elle est aussi responsable d’antenne à Radio Escapades, située à Saint-Hippolyte-du-Fort (Gard), dont 56 % du budget annuel provient du FSER.

Le constat est partagé par Olivier Guérin, son homologue de Radio Vieille-Eglise (RVE), basée à Vieille-Eglise-en-Yvelines : « Nous sommes inquiets, car le montant de la subvention FSER représente près de la moitié de notre budget », témoigne-t-il avec sa casquette de président de l’association RVE. Comme six autres radios locales des Yvelines, elle perçoit aussi une aide de ce département, mais, regrette Olivier Guérin, celle-ci a été « considérablement revue à la baisse depuis 2024, passant de 12 000 euros à 4 000 euros, ce qui a un impact important sur notre budget annuel, lequel est d’environ 80 000 euros ». Résultat : la radio, qui comptait trois employés en 2021, ne compte plus qu’un seul salarié aujourd’hui.

L’obstacle de la technologie DAB+

Il y a bien les bénévoles, sans lesquels les radios associatives n’existeraient pas. Mais leur nombre diminue aussi. Cette force vive est cependant indispensable, comme l’illustre RVE, animée par 20 volontaires non salariés. Autre exemple à Radio Coyroye de la Bruche (RCB), basée à Schirmeck (Bas-Rhin) : « Nous sommes une vingtaine de bénévoles aux côtés des deux employés », affirme Thierry Messina, lui-même informaticien de profession. Mais, comme le signale la Confédération nationale des radios associatives, « il y a une mutation du bénévolat en France », autrement dit une baisse des effectifs qui, selon l’IFOP, n’a toujours pas retrouvé en 2025 les niveaux de l’avant-Covid-19.

Pourtant, précise Romain Laleix, membre de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) et président du groupe de travail radios et audio numérique au sein de l’institution, près de 40 millions de Français écoutent chaque mois la radio. « Parmi eux, a-t-il détaillé aux Etats généraux, 62 % considèrent que la radio joue un rôle important dans la vie de leur territoire, qu’ils soient dans les villes, dans le monde rural ou en zone périurbaine. Et ils sont même 88 % à dire que la radio leur est utile au quotidien grâce aux nombreux services de proximité qu’elle offre. »

Pour compliquer la situation, le monde radiophonique associatif voit se dresser devant lui un nouvel obstacle financier : le développement – en cours – de la technologie numérique DAB+. Ce standard impose aux éditeurs de radio une double diffusion FM-DAB+, grevant leur budget, malgré une subvention d’exploitation majorée de 5 % dans le FSER, mais dont seules 170 radios ont bénéficié en 2024. « D’où l’importance de conforter en 2026 le financement du FSER, a prévenu M. Laleix. Toute fragilisation du soutien public aux radios associations ferait courir des risques : sur le pluralisme, sur l’emploi, sur l’éducation au média, sur la promotion de la vie culturelle, économique et politique de nos territoires. »

D’évidence, avec leurs finances au cordeau, la plupart des radios associatives ne disposent pas de moyens pour le DAB+. C’est le cas de RCB, dont le budget – à l’équilibre fragile – est d’environ 100 000 euros par an : « Le FSER représente 40,5 % des recettes en 2024, tandis que les 2,7 % de subventions de la communauté de communes de la Vallée de la Bruche baissent, car elles sont calculées sur le nombre d’habitants, qui diminue dans nos deux cantons », précise Olivier Scherrer, trésorier de l’association RCB.

« Faire causette »

Et ce ne sont pas les 1,8 million d’euros par an du Fonds de soutien aux médias d’information sociale de proximité, subventionnant de rares radios locales, qui vont les sauver : seulement une quinzaine d’entre elles, dont Radio Péka et Wesh Radio en Guyane, ou encore VFM Radio en Normandie, en a bénéficié en 2024, la règle étant de ne pas avoir été aidé par le FSER l’année d’avant. Et encore, les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) n’ont plus qu’un avis consultatif sur les financements du Fonds, « désormais accordés à la discrétion des préfets », regrette Macko Dragan, cofondateur du Syndicat de la presse pas pareille, qui fédère des médias, pas nécessairement radiophoniques, présentés comme « solidaires, indépendants et humanistes ». Le syndicat est récemment venu en soutien de l’antenne marseillaise Radio Galère, en difficulté financière.

Face aux aides publiques qui se dérobent, que reste-t-il aux « locales » indépendantes pour survivre ? A la différence des radios commerciales privées ou publiques, comme Ici (ex-France Bleu), les radios associatives dites « de catégorie A » n’ont pas le droit de réaliser plus de 20 % de leur budget annuel avec de la publicité. A Radio Coyroye de la Bruche – coyroye signifie « faire causette » en patois vosgien –, la publicité locale provient, entre autres, de Super U et d’Intermarché. « La concurrence est rude : une partie croissante des budgets de communication des collectivités et institutions part désormais vers les réseaux sociaux, qui n’ont aucun ancrage local », pointe Mme Mineur.

Sans parler de la montée en charge de la télévision segmentée, pour laquelle 11,2 millions de foyers français sont déjà éligibles. Cette forme de télévision, où la publicité peut être ciblée localement, marche sur les plates-bandes des radios rurales ou de quartier. Cette concurrence supplémentaire pourrait tarir encore davantage les ressources des radios locales. Un désert radiophonique de proximité risque de se former.

[Source: TV5Monde]