Jack Draper, un Anglais dans son jardin à Wimbledon
Numéro 4 mondial, le jeune joueur de tennis britannique rêve de succéder à Andy Murray, dernier sujet de Sa Majesté à avoir remporté le tournoi du Grand Chelem anglais, en 2016.
Il est chez lui à Wimbledon. Difficile de faire plus Anglais que Jack Draper ; son accent des beaux quartiers de Londres ne laisse aucun doute. Le jeune homme né à Sutton (Royaume-Uni), dans la banlieue chic de la capitale britannique, il y a vingt-trois ans, à une dizaine de kilomètres du All England Club, est le régional de l’étape lors du tournoi du Grand Chelem britannique (du lundi 30 juin au dimanche 13 juillet). Il doit affronter l’Argentin Sebastian Baez au premier tour, mardi.
Fils d’un ancien directeur général de la Fédération de tennis britannique et d’une mère ayant remporté le championnat de tennis du Royaume-Uni chez les juniors – avant, devenue entraîneuse, d’emmener son fils frapper ses premières balles à l’âge de 3 ans –, Jack Draper a fréquenté la très huppée Reed’s School, à Cobham, dans le Surrey, où Tim Henman, l’un des meilleurs joueurs britanniques de l’ère Open, avait également usé ses fonds de culotte.
Dans son jardin de Wimbledon, celui qui occupe désormais la 4e place au classement mondial semble être l’un des rares joueurs en mesure de bousculer l’hégémonie des deux nouveaux monarques de la planète tennis. En six confrontations, le Britannique a battu Carlos Alcaraz, vainqueur des deux dernières éditions de Roland-Garros et de Wimbledon, à deux reprises, dont une fois sur le gazon londonien du Queen’s, en 2024. Face au numéro 1 mondial, Jannik Sinner, il compte un succès en deux face-à-face, également au Queen’s, trois ans plus tôt.
« Jack Draper peut remporter Wimbledon, assure l’ancienne joueuse française Camille Pin, consultante pour Eurosport et Prime Video. Il est grand, ultra-puissant, bluffant d’intensité, il est costaud dans les rallyes [les échanges], il sait slicer [couper]. S’il arrive à gérer la pression, il sera difficile à battre, surtout si [Carlos] Alcaraz et [Jannik] Sinner sont un peu fatigués après Roland-Garros. »
« Capable de conclure les points très rapidement »
Depuis l’enfance, Jack Draper est programmé pour devenir le leader du tennis outre-Manche. Et le Britannique endosse le rôle sans se démonter. Avant le Queen’s, il assurait que le niveau de jeu affiché en finale de Roland-Garros par Jannik Sinner et Carlos Alcaraz, loin de le décourager, lui a donné envie de « travailler encore plus dur ». « J’ai hâte de les rattraper. Je ne sais pas encore de quoi je suis capable, mais j’aspire à atteindre ce niveau, insistait-il. Ces gars-là montrent la voie et changent le jeu ! »
Du haut de son 1,93 mètre (pour 85 kilos), l’Anglais s’appuie sur un service massue et un grand coup droit. Un jeu direct qui rappelle celui d’Andy Roddick, trois fois finaliste à Wimbledon (2004, 2005 et 2009), avec davantage de variations. Comme l’Américain, Jack Draper porte sa casquette à l’envers, et l’observateur non avisé pourrait le prendre pour un étudiant tout juste sorti d’une université américaine – sensation renforcée par son physique de déménageur et sa mâchoire carrée.
Pour autant, s’il n’a pas la dextérité de Carlos Alcaraz, Jack Draper possède une « main » plus qu’honorable pour son envergure. Ayant connu une croissance tardive, il a gardé de ses jeunes années une vitesse de déplacement surprenante pour son gabarit. « Ce qu’il montre, c’est de très haut niveau. Il est capable de conclure les points plus rapidement qu’Alcaraz et Sinner, ce qui est une force sur gazon. Il est gaucher, un autre avantage sur cette surface où les services slicés sont particulièrement efficaces », analyse Tatiana Golovin, ex-numéro 12 mondiale, consultante pour BeIN Sports, le diffuseur de Wimbledon en France.
Une certaine fragilité physique
Joueur complet, Jack Draper n’a pour point faible qu’une certaine fragilité physique, qui lui a joué des tours à ses débuts. Rupture d’un ligament à la cheville en 2021, blessure à l’épaule en 2023, nouvelle blessure à la hanche en début d’année… A 23 ans, le Britannique compte 16 abandons sur le circuit ATP. Malgré son jeune âge, il a traversé des moments de blues qui l’ont amené à douter de son avenir dans le tennis professionnel et qui l’ont fait mûrir. Jack Draper en parle sans langue de bois, n’hésitant pas à confier ses états d’âme en conférence de presse, et à raconter cette anxiété qui le fait parfois vomir lors d’une rencontre importante.
« Parfois, je ressens un peu de nausée sur le terrain, et je me sens un peu malade quand ça devient difficile, a-t-il confié. Je suis vraiment un être humain assez anxieux. » Physiquement et mentalement, l’Anglais est devenu plus solide depuis deux ans, suivant une progression régulière : première finale à Sofia (Bulgarie) en novembre 2023, premier titre au tournoi ATP 500 de Vienne (Autriche) en octobre 2024, avant un premier Masters 1000 (l’échelon en dessous des tournois du Grand Chelem) à Indian Wells, en Californie, en mars 2025.
S’il est à l’aise sur toutes les surfaces – sur terre battue, il a atteint la finale à Madrid en mai –, c’est sur herbe que son jeu s’exprime le mieux. Paradoxalement, il n’a pas encore trouvé ses repères à Wimbledon, temple anglais du gazon, n’ayant jamais dépassé le deuxième tour ; mais Jack Draper a changé d’envergure depuis l’été 2024 en devenant le premier Britannique à atteindre les demi-finales à l’US Open depuis Andy Murray en 2012.
Adoubé par Andy Murray
L’Anglais est un si grand fan de l’Ecossais qu’il en a fait sa « principale source d’inspiration ». « J’étais dans le public en 2013 lors de la finale de Wimbledon et je l’ai vu refuser la défaite », a-t-il relaté. Son ascension en 2024 a d’ailleurs coïncidé avec la retraite du quatrième membre du « Big 4 » du tennis mondial (avec Roger Federer, Novak Djokovic et Rafael Nadal). Au Royaume-Uni, les comparaisons entre les deux hommes sont inévitables, mais elles ne semblent pas lui peser outre mesure.
De son côté, l’ancien numéro 1 mondial, vainqueur de trois Majeurs, estime que Jack Draper est mûr pour remporter un tournoi du Grand Chelem. « Il fait maintenant partie des prétendants, et il se débrouille très bien. Il va trouver le moyen de gagner des tournois majeurs au cours des cinq ou dix prochaines années », l’a adoubé Sir Andy Murray – il a été anobli par Elizabeth II –, sur BBC Sport.
Depuis le sacre d’Andy Murray en 2016, les Britanniques sont à la peine à Wimbledon –, seul Cameron Norrie a atteint les demi-finales, en 2022. Et les attentes sont énormes autour de Jack Draper, une pression qui a souvent inhibé les champions du royaume par le passé. Mais le jeune homme est programmé depuis l’enfance pour être celui que tout un pays attend.
[Source: Le Monde]