Romain Bardet fait ses adieux au cyclisme sur route : « Les ingrédients qui m’ont permis de m’épanouir dans le vélo disparaissent petit à petit »

Le Français de 34 ans espère quitter le circuit sur un ultime coup d’éclat lors du Critérium du Dauphiné, qui s’élance dimanche. Il devra faire face aux grandes équipes qui faussent selon lui l’équité sportive.

Juin 8, 2025 - 11:04
Romain Bardet fait ses adieux au cyclisme sur route : « Les ingrédients qui m’ont permis de m’épanouir dans le vélo disparaissent petit à petit »
Romain Bardet lors de la 19ᵉ étape du Tour d’Italie, le 30 mai 2025. LUCA BETTINI / AFP

Après quatorze années passées à sillonner le circuit professionnel du cyclisme sur route, loin de chez soi pendant de longs mois, le cuissard et le maillot deviennent une seconde peau. Les gestes qui précèdent chaque départ d’épreuve se muent en une routine chevillée au corps. Romain Bardet s’apprête à mettre tout cela derrière lui, à l’issue du Critérium du Dauphiné, dont la première étape s’élance, dimanche 8 juin, de Domérat (Allier).

L’échéance approchant, le Français s’est refusé à se laisser envahir par le poids de la nostalgie, de peur de terminer « spectateur de [ses] dernières courses ». « C’est facile de voir tout ça comme une tournée d’adieu. Mais on ne profite de ces ultimes moments que quand on est à l’avant, donc je veux être performant jusqu’au dernier coup de pédale », expliquait-il au Monde, le 8 mai, à la veille du départ du Giro, le Tour d’Italie, l’ultime grand Tour de sa carrière.

Spectateur, Romain Bardet ne l’a pas été sur les routes italiennes : 26ᵉ du classement général, il a participé à plusieurs échappées et manqué de peu une victoire d’étape à Bormio, le 28 mai, obtenant une 2ᵉ place, derrière Isaac Del Toro. Celle-ci lui aurait permis de faire partie du cercle fermé des coureurs qui se sont imposés sur les trois grands Tours. Mais le Clermontois devra se contenter de quatre victoires d’étape sur le Tour de France et une sur la Vuelta.

« Finir sur une victoire d’étape »

Partir sur un succès, les bras levés pour des souvenirs gravés à jamais, le grimpeur de l’équipe Picnic PostNL n’y a pas renoncé. Le Dauphiné, son épreuve préférée, qu’il n’a plus disputée depuis 2020, s’y prête. « Quitte à faire un dernier Giro, je voulais prolonger l’aventure pour terminer sur une course avec une vraie valeur sentimentale. Ce serait un beau clin d’œil de finir sur une victoire d’étape, dix ans après ma première sur le Dauphiné », glisse celui qui vit à Clermont-Ferrand, ville que le peloton effleurera lors de la deuxième journée.

L’itinéraire de course semble dessiné pour retracer le parcours de Bardet : la 3ᵉ étape s’élancera de Brioude, commune de Haute-Loire qui l’a vu naître, où il possède encore sa licence et où son père gère l’école de cyclisme. Les routes de montagne de la fin de semaine, le grimpeur les connaît par cœur, pour y avoir multiplié les stages en altitude. « On va également passer par un lieu important pour moi, la côte de Domancy [en Haute-Savoie], un clin d’œil à ma victoire d’étape sur le Tour de France en 2019 », salive d’avance l’intéressé, qui souhaite profiter de cette ultime course « avec l’entrain et l’insouciance de [ses] débuts ».

Le Dauphiné s’achèvera au Mont-Cenis (Savoie), où des spectateurs devraient se réunir pour lui rendre un dernier hommage. L’an dernier, quelques semaines après l’annonce de sa fin de carrière à venir, des centaines de personnes l’avaient acclamé dans un « virage Bardet », dans le pas de Peyrol (Cantal), lors de la 11ᵉ étape du Tour de France. L’ancien coureur d’AG2R La Mondiale avait alors mesuré sa cote de popularité, celle d’un coureur qui a pendant plusieurs années porté les espoirs de victoire tricolore dans un grand Tour.

Une collection de podiums prestigieux

« Ce moment est un très bon souvenir. J’ai toujours gardé une certaine distance par rapport au public, donc c’était très touchant de voir cet attachement et cette affection », raconte Bardet, dont la véritable satisfaction fut de porter le maillot jaune pour la première fois sur la Grande Boucle en 2024, à l’issue de sa victoire dans l’étape inaugurale, à Rimini (Italie).

Une forme de consécration pour celui qui a plus souvent collectionné les places d’honneur que les triomphes, toujours bien placé mais rarement vainqueur, à l’instar de ces podiums sur le Tour de France (2ᵉ en 2016, 3ᵉ en 2017), le Dauphiné (2ᵉ en 2016, 3ᵉ en 2018), à Liège-Bastogne-Liège (3ᵉ en 2018, 2ᵉ en 2024), aux Strade Bianche (2ᵉ en 2018) ou encore aux championnats du monde (2ᵉ en 2018). « Il m’a toujours manqué un petit truc pour obtenir un succès qui définit une carrière. Mais je suis totalement en paix avec ça », assure sans détour Bardet, qui avait décroché le maillot à pois du meilleur grimpeur lors du Tour de France 2019.

Au Dauphiné, le Français retrouve les meilleurs coureurs du moment – Tadej Pogacar, Jonas Vingegaard, Remco Evenepoel, Matteo Jorgenson –, réunis pour une répétition générale avant le Tour de France. Face à cette concurrence féroce et jamais rassasiée, il devra faire mieux que lors de son début de saison décevant, avec une incertitude quant à sa forme physique : jamais il n’a disputé une course à étapes dans la foulée d’un Grand Tour.

Partir « avant de devenir un anonyme de la meute »

Pris de vitesse depuis ces dernières saisons, comme bien d’autres, par l’accélération effrénée du peloton, l’émergence de jeunes prodiges et l’évolution globale de son sport, Romain Bardet souhaitait se mettre en retrait « avant de devenir un anonyme de la meute ». Et le Français de s’inquiéter de ces « quatre, cinq équipes avec un budget illimité qui agrègent les meilleurs coureurs avec des contrats à sept chiffres et créent un fossé qui se creuse d’année en année ».

A 34 ans, il s’apparente à un coureur à l’ancienne, qui n’aurait pas autant joui de son statut de cycliste professionnel en débutant aujourd’hui : « Je ne sais pas si j’aurais pu faire carrière. On est désormais dans un cyclisme où tout est très calibré, avec très peu de marge pour laisser libre cours à son instinct. J’ai la sensation que les ingrédients qui m’ont permis de m’épanouir dans le vélo, en étant un peu autodidacte, en apprenant de mes erreurs et en ayant une quête personnelle à travers l’exercice de mon sport, disparaissent petit à petit. »

Ces réflexions, le Français les partage régulièrement dans des chroniques publiées dans L’Equipe, l’une des activités qui pourraient occuper sa deuxième vie. Celle d’athlète de haut niveau prendra réellement fin à l’issue de la saison 2025, puisqu’il disputera les championnats du monde de gravel aux Pays-Bas (11-12 octobre), avant de tirer sa révérence pour de bon. Il sera ensuite temps pour le futur ex-coureur de « trouver un domaine d’expression dans lequel avoir de l’impact ». Mais avant d’y songer, Bardet n’a pas encore rendu les armes, et c’est sur le scénario du Dauphiné qu’il ambitionne de peser.

[Source: Le Monde]