Affaire Renault : pourquoi Rachida Dati et Carlos Ghosn sont renvoyés en procès pour corruption

Au terme de six ans de procédure, les juges d’instruction ont ordonné, mardi 22 juillet, la tenue d’un procès contre la ministre de la culture et l’ex-PDG de Renault-Nissan, pour notamment corruption et trafic d’influence. Dans la soirée, Mme Dati a dénoncé une « procédure émaillée d’incidents » et a affirmé qu’elle ne démissionnerait pas.

Juil 23, 2025 - 06:32
Affaire Renault : pourquoi Rachida Dati et Carlos Ghosn sont renvoyés en procès pour corruption
La ministre de la culture, Rachida Dati, à l’Assemblée nationale, à Paris, le 30 juin 2025. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »

Un procès aura bien lieu dans l’affaire Dati-Ghosn. Comme le confirme au Monde une source judiciaire, les juges d’instruction Pierre Grinsnir et Marie-Catherine Idiart ont décidé, mardi 22 juillet, au terme de six ans d’une procédure ouverte après la plainte d’une actionnaire minoritaire de Renault SA, de renvoyer devant le tribunal correctionnel la ministre de la culture et maire du 7arrondissement de Paris, Rachida Dati (Les Républicains), et l’ex-PDG de Renault-Nissan, Carlos Ghosn. Ce dernier est visé par plusieurs mandats d’arrêt internationaux et est interdit judiciairement de quitter le Liban, où il a trouvé refuge en décembre 2019, après sa fuite du Japon, où il était incarcéré.

Dans leur ordonnance de renvoi, conforme au réquisitoire définitif du Parquet national financier (PNF) rendu en novembre 2024, les juges ont estimé que Mme Dati devrait comparaître pour « corruption et trafic d’influence passifs par personne investie d’un mandat électif public au sein d’une organisation internationale (en l’espèce le Parlement européen) » et « recel d’abus de pouvoir et d’abus de confiance ». Quant à M. Ghosn, il est renvoyé pour « abus de pouvoirs par dirigeant de société », « abus de confiance », « corruption et trafic d’influence actifs ».

Sollicités, les avocats de Mme Dati, Olivier Pardo et Olivier Baratelli, n’ont pas souhaité réagir. Idem pour l’avocate de M. Ghosn, Jacqueline Laffont, qui dit « découvrir cette ordonnance par la presse », et pour le groupe Renault, partie civile, et son avocat Kami Haeri. Dans cette affaire, les magistrats instructeurs ont par ailleurs conclu à un non-lieu pour le consultant Alain Bauer.

Invitée sur LCI mardi soir, Mme Dati a dénoncé une « procédure émaillée d’incidents » et a violemment mis en cause certains magistrats qui, selon elle, « marchent » sur les droits de la défense. « J’accable des magistrats qui refusent de faire leur travail selon le code de procédure », a-t-elle dit, affirmant également qu’elle ne démissionnerait pas.

Au cœur de cette information judiciaire, une convention d’honoraires du 28 octobre 2009, adressée à M. Ghosn et signée par les deux parties, dans laquelle Mme Dati – qui a prêté serment début 2010 pour devenir avocate – lui propose ses services pour « l’assister, dans les aspects juridiques et réglementaires, dans la détermination de la conduite de la politique d’expansion internationale de [son] groupe, notamment dans les pays du Moyen-Orient et du Maghreb ».

Dans son réquisitoire définitif, le PNF avait estimé que cette convention « est l’habillage juridique par lequel le pacte corruptif conclu entre Carlos Ghosn et Rachida Dati a été dissimulé et par lequel les versements faits en exécution de ce pacte ont été justifiés ». Les juges d’instruction se polarisent sur les honoraires (900 000 euros hors taxes pour prétendument neuf cents heures de travail) versés à Mme Dati en tant qu’avocate, de 2010 à 2012, par Renault-Nissan BV, la filiale néerlandaise de l’alliance industrielle. « Des sommes disproportionnées et indues au regard de la faiblesse d’une part, de l’illicéité d’autre part, des prestations fournies par [Mme Dati] », selon le réquisitoire du PNF.

« Irrémédiablement en conflit d’intérêts »

Les magistrats doutent de la réalité des travaux effectués par Mme Dati pour Renault-Nissan BV : lors de leurs investigations, ils ont trouvé peu de preuves matérielles des prestations présumées. « Les seuls éléments au soutien d’un travail effectif de Mme Dati sont essentiellement testimoniaux et émanent des personnes qui, visées par l’information, avaient intérêt à confirmer la réalité du travail réalisé par celle-ci », écrit le PNF dans son réquisitoire.

« J’ai toujours dit la vérité à M. Ghosn, à savoir que la nouvelle direction juridique ne trouvait pas d’axe de travail pour Mme Dati, a confié aux juges Mouna Sepehri, proche collaboratrice de l’homme d’affaires. (…) Moi, je ne savais pas exactement ce qu’elle faisait, je n’avais pas une vue d’ensemble. »

« Pour moi, Rachida Dati a été un atout pour Renault dans ses activités de promotion des marques et de diplomatie des affaires au Maroc, en Algérie, en Turquie, en Iran », a certifié M. Ghosn devant les juges, confirmant que c’est l’actuelle ministre de la culture qui avait « proposé ses services » à Renault après son départ du gouvernement, en 2009.

A cette époque, Mme Dati était députée européenne, membre suppléante de la commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie. Or, les activités de lobbying sont interdites au Parlement européen. Les juges soupçonnent l’élue, qui a notamment posé deux questions écrites en 2012 au Parlement en lien avec la filière automobile, d’y avoir promu les intérêts de Renault. « La volonté de Mme Dati de mettre à disposition ses capacités d’influence au service de M. Ghosn et de Renault-Nissan BV avait pour contrepartie les honoraires qui lui étaient versés et qui la plaçaient irrémédiablement en conflit d’intérêts avec ses obligations de parlementaire dans chacune des interventions qui se proposait de réaliser au Parlement européen », accuse le PNF dans son réquisitoire définitif, ajoutant que l’élue « n’a jamais informé » l’instance européenne de « cette situation ».

Menace d’une condamnation à une peine d’inéligibilité

« Si Renault avait voulu faire du lobbying, ils auraient envoyé leurs lobbyistes me voir pour coordonner les éventuelles actions. Un avocat ne peut être lobbyiste », a rétorqué Mme Dati aux juges en 2020, quelques mois avant sa mise en examen. « J’avais un contrat d’avocat pour Renault-Nissan pour des pays hors implantation européenne. Ma mission n’était pas impactée par les débats au Parlement européen », a insisté la ministre face aux magistrats, en 2022.

Pour le PNF, les « éléments » de l’enquête « établissent que Mme Dati a participé à des votes au Parlement dont les choix, s’ils étaient peut-être conformes à la position du Parti populaire européen auquel elle appartenait, ont été dictés non par sa conscience de député mais par le souci de donner des gages à la société qui l’avait mandatée pour défendre ses intérêts privés ».

Le PNF, dans son réquisitoire, interrogeait aussi la légalité des travaux de Mme Dati : « Les seules véritables prestations qui peuvent être mises au crédit de Mme Dati sont celles qui justifient sa mise en examen pour corruption et trafic d’influence passifs et la mise en examen de M. Ghosn pour corruption et trafic d’influence actifs. »

Les dates du procès sont encore indéterminées, les deux mis en cause « ont été convoqués devant le tribunal correctionnel pour audience de mise en état pénal le 29 septembre 2025 », lors de laquelle les dates de l’audience au fond devraient être fixées, développe une source judiciaire. On ne sait donc pas encore si l’audience aura lieu avant ou après le scrutin municipal de mars 2026. Au regard de la nature des infractions potentielles, la menace d’une condamnation à une peine d’inéligibilité avec application immédiate est réelle pour Mme Dati, candidate à la Mairie de Paris.

Avant de rendre leur ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, les juges d’instruction avaient rendu mardi une première ordonnance, laquelle a considéré comme « infondée » « une demande de recommencement de l’instruction » faite par Mme Dati, en raison d’une pièce du dossier supposément manquante. « Nous considérons que les deux ordonnances sont liées et Mme Dati fait appel de ces deux ordonnances », précisent ses avocats, dénonçant « un déni de justice ».

La ministre a multiplié, tout au long de la procédure, les recours et requêtes (en nullité, aux fins de démise en examen, sur la prescription), allongeant la durée de l’information judiciaire. Sa dernière requête en nullité contre le réquisitoire définitif du PNF a été rejetée le 26 juin par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris. Ses avocats se sont depuis pourvus en cassation. Même si ce recours n’empêchait pas juridiquement les juges d’instruction de rendre leur ordonnance de renvoi. « A ce stade, nous n’avons pas plus d’éléments sur l’agenda procédural », assure la Cour de cassation.

M. Ghosn « séchera »-t-il son procès en raison des mandats d’arrêt à son encontre ? « Au cas où je serais autorisé à quitter le territoire libanais, n’importe quel pays procéderait à mon arrestation et me remettrait aux autorités japonaises », a-t-il rappelé aux juges français, en 2021, lors de son audition à Beyrouth, estimant que son « cas ne ressemble à aucun autre » et se dépeignant comme « l’homme à abattre ». M. Ghosn est, par ailleurs, visé par une information judiciaire du parquet de Nanterre pour « abus de biens sociaux » et « blanchiment en bande organisé ».

[Source: Le Monde]