Bachar Al-Assad : la Cour de cassation confirme l’immunité personnelle des chefs d’Etat en exercice

La plus haute juridiction française a annulé un mandat d’arrêt visant l’ancien président syrien délivré en 2023. Elle estime en revanche qu’il peut désormais être poursuivi, maintenant qu’il n’est plus en fonction. Elle a en outre levé l’immunité fonctionnelle des agents étrangers.

Juil 26, 2025 - 06:14
Juil 26, 2025 - 06:18
Bachar Al-Assad : la Cour de cassation confirme l’immunité personnelle des chefs d’Etat en exercice
Un portrait de Bachar Al-Assad, lors d’un défilé militaire à Alep (Syrie), le 21 décembre 2017. GEORGE OURFALIAN / AFP

C’est une grosse déception pour les défenseurs des droits de l’homme et les juristes internationaux mobilisés dans la lutte contre l’impunité. La Cour de cassation, la plus haute juridiction française, a décidé, vendredi 25 juillet, que l’immunité personnelle dont bénéficient les chefs d’Etat en exercice ne pouvait souffrir d’aucune exception. Conséquence : le mandat d’arrêt, délivré en novembre 2023 par des juges d’instruction parisiens contre l’ex-président syrien Bachar al-Assad pour avoir ordonné des attaques chimiques dans la banlieue de Damas en 2013, est annulé. Cette décision intervient à quelques jours du douzième anniversaire de l’attaque de la Ghouta au gaz sarin, qui avait causé quelque 1 000 à 1 500 morts, dont plusieurs Franco-Syriens.

Cette décision ferme la porte à la mise en cause devant la justice française de chefs de l’Etat en exercice, qui disposent d’une immunité personnelle, tout comme les premiers ministres et les ministres des affaires étrangères. La Cour n’a pas saisi la perche tendue par le procureur général Rémy Heitz, qui avait proposé de maintenir le mandat d’arrêt contre Bachar Al-Assad, en écartant l’immunité personnelle dont il bénéficiait car la France ne le considérait plus depuis 2012 comme le « chef d’Etat légitime en exercice » eu égard aux « crimes de masse commis par le pouvoir syrien ».

« Cependant », a précisé le président de la Cour de cassation, Christophe Soulard, depuis que Bachar Al-Assad, renversé en décembre 2024, n’est plus président, « de nouveaux mandats d’arrêt ont pu ou pourront être délivrés à son encontre pour des faits susceptibles de constituer des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ». Les juges pourront donc émettre un nouveau mandat d’arrêt visant le président syrien, qui a été renversé en décembre 2024 et vit désormais en exil en Russie.

La décision « envoie un signal »

En janvier 2025, des juges d’instruction du pôle crimes contre l’humanité ont d’ailleurs délivré un mandat d’arrêt contre Bachar Al-Assad dans une autre procédure, visant des bombardements meurtriers aux bombes barils dans la région de Deraa. Ce dernier n’a pas été contesté par le Parquet national antiterroriste, qui avait fait appel contre le premier, probablement de peur d’une inflation de procédures contre des dirigeants en exercice qui aurait entravé la diplomatie française.

« La Cour fait prévaloir la prétendue sécurité des relations internationales sur la lutte contre l’impunité, déplorent les avocates Jeanne Sulzer et Clémence Witt, représentantes de plusieurs parties civiles franco-syriennes. Les victimes continueront de se battre pour que les auteurs de crimes de masse, quelle que soit leur fonction, puissent répondre de leurs actes. » « Cette décision représente une occasion manquée pour la justice », déplore pour sa part Mariana Pena, conseillère juridique principale à l’Open Society Justice Initiative, partie civile dans l’affaire évoquée par la Cour de cassation.

« La Cour avait l’occasion d’établir que l’immunité du chef de l’Etat ne s’applique pas lorsqu’un dirigeant est directement impliqué dans la perpétration des crimes les plus graves. Mais à l’inverse, sa décision envoie un signal que les immunités peuvent encore protéger les auteurs présumés de la justice », regrette Mazen Darwish, du Syrian Center for Media and Freedom of Expression.

La mise en examen d’Adib Mayaleh validée

Parallèlement à cette décision, la Cour de cassation a en a pris une autre, très importante même si elle est moins spectaculaire. Elle a reconnu pour la première fois une exception à l’immunité fonctionnelle dont bénéficient les agents d’Etats étrangers s’ils sont poursuivis pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

La mise en examen de l’ex-gouverneur de la Banque centrale syrienne (2005-2016) et ex-ministre de l’économie (2016-2017), Adib Mayaleh, est donc validée. L’avocate générale Sonia Djemni-Wagner avait prôné le rejet de son pourvoi, car « la coutume internationale » reconnaît désormais « la responsabilité pénale individuelle quand la puissance publique est instrumentalisée à des fins criminelles ». Mis en examen pour complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, blanchiment de ces crimes et participation à une entente en vue de commettre des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, M. Mayaleh possède la double nationalité franco-syrienne et vit en France.

« La décision de la Cour de cassation sur les immunités fonctionnelles est le fruit d’un long combat judiciaire mené par nos organisations pour que les présumés responsables de crimes internationaux ne puissent plus se réfugier derrière leur statut d’agent de l’Etat pour échapper à des poursuites, déclare Clémence Bectarte, avocate et coordinatrice du groupe d’action judiciaire de la Fédération internationale pour les droits humains. Cette décision aura des répercussions positives sur de nombreuses affaires en France, mais également dans le monde. » Ainsi, dans l’hypothèse d’un nouveau mandat d’arrêt le visant, Bachar Al-Assad ne pourra plus se prévaloir d’une immunité fonctionnelle accordée aux agents d’Etats étrangers pour des actes commis dans l’exercice de leurs fonctions.

[Source: Le Monde]