Au Maroc, la mobilisation inédite d’une partie de la jeunesse met le gouvernement à l’épreuve
Des manifestations pour la justice sociale se tiennent à travers le royaume depuis samedi 27 septembre. Réuni d’urgence mardi, l’exécutif a promis de répondre « positivement » aux revendications des protestataires.

Les appels à la retenue du collectif « GENZ212 », à l’origine des protestations qui secouent le Maroc depuis quatre jours, n’ont pas suffi. Mardi 30 septembre au soir, un jeune homme a été grièvement blessé, à Oujda, dans l’est du pays, après avoir été renversé par un fourgon des forces de l’ordre. Diffusée sur les réseaux sociaux, une vidéo virale montre l’estafette bleue filer à toute allure, gyrophares allumés, sur une place de la ville, avant de percuter de plein fouet un manifestant, de lui rouler dessus et de poursuivre sa route.
Jusque tard dans la nuit, des scènes de violence ont émaillé les rassemblements qui se tenaient dans plusieurs communes du royaume. A Inezgane, en banlieue d’Agadir, des dizaines de jeunes ont bravé les forces de sécurité à coups de projectiles, tandis que des voitures ont été renversées dans la cité proche d’Ait Amira. D’autres vidéos font état d’affrontements, de véhicules calcinés et de commerces pillés ailleurs dans le pays.
Alors qu’une partie de la jeunesse marocaine manifeste quotidiennement depuis samedi 27 septembre, la tension est à son comble. Plus de 200 manifestants ont été interpellés dans la capitale au cours des trois derniers jours. La plupart a été relâchée, selon l’Association marocaine des droits humains (AMDH), mais un premier groupe de 37 personnes, dont trois placées en détention, doit être jugé à partir du 7 octobre, a indiqué leur avocate Me Souad Brahma, à l’Agence France Presse, qui a dit ne pas connaître pour le moment les chefs d’accusation retenus contre eux. Une instruction a également été ouverte à Casablanca contre 18 personnes pour « leur implication présumée dans l’entrave de la circulation » lors d’une manifestation dimanche, selon l’agence marocaine MAP.
Mardi en fin d’après-midi, l’exécutif, présidé par Aziz Akhannouch, a fini par sortir de son silence, en promettant de répondre « positivement » aux revendications des protestataires. Au même moment, des milliers de personnes marchaient dans les principales agglomérations. « Nous voulons être traités dignement, avoir des hôpitaux et des écoles qui fonctionnent », déclaraient deux adolescents de 18 et 19 ans, interrogés parmi les centaines qui s’étaient réunis dans le quartier Derb Sultan de Casablanca.
Mouvement organisé sur Discord
La mobilisation surprise d’une fraction de sa jeunesse a suffi à écorner la photographie officielle d’un Maroc des grands chantiers, tourné vers la Coupe du monde de football que le royaume doit accueillir pour la première fois en 2030. Synonyme de mise à niveau de ses infrastructures, le montant colossal – plus de cinq milliards de dollars – que l’Etat a annoncé vouloir dépenser dans l’organisation de la compétition n’a fait que rendre plus patentes les carences de ses services publics, hôpitaux et écoles en tête. Moins de dix jours après l’inauguration, par le prince héritier Hassan, du stade Moulay Abdellah de Rabat, refait à neuf en dix-huit mois, une manifestation éclatait, le 14 septembre, devant le centre hospitalier régional d’Agadir, où plusieurs femmes enceintes venaient de mourir.
Représentant environ un quart de la population marocaine, la génération Z des 15-30 ans est unanimement décrite comme « une catégorie particulièrement vulnérable », victime d’un taux de chômage endémique de près de 50 % en milieu urbain. « Nous voulons un pays pour tous les Marocains, un pays pour les malades, les illettrés, les chômeurs et les pauvres, et non une tribune pour des politiciens au ventre plein. Nous avons besoin de responsables au service du peuple, et non de leurs propres intérêts », affirmaient, mardi soir, les représentants de « GENZ212 » dans un texte diffusé sur le réseau Discord.
C’est sur cette plateforme qu’est née la chaîne du collectif, le 18 septembre. Cette déclinaison locale – 212 étant l’indicatif téléphonique du Maroc – des soulèvements de la génération Z en Asie ou, en ce moment, à Madagascar adopte une forme inédite. « Elle fonctionne uniquement sur les réseaux et les messageries instantanées, elle est aussi très bien organisée avec des forums de discussion qui se déclinent région par région », constate un élu marocain sous le couvert de l’anonymat. Alors qu’elle en comptait moins de mille lors de son lancement, « GENZ212 » réunissait mardi soir plus de cent vingt mille membres.
Les partis tenus à l’écart
Les comparaisons n’ont pas tardé à surgir entre cette mobilisation et le mouvement du 20-Février, qui avait conduit, en 2011, au cœur des printemps arabes, à une réforme de la Constitution marocaine. « Mais les deux n’ont presque rien en commun, décrypte un militant aguerri. Alors que les partis politiques et les syndicats s’étaient joints au 20-Février, les jeunes qui manifestent aujourd’hui se disent sans appartenance et ne veulent être associés à aucune formation ».Pour avoir pris la parole devant les micros, au milieu d’un rassemblement, dimanche 28 septembre, la secrétaire générale du Parti socialiste unifié (PSU), Nabila Mounib, s’est vue reprocher de vouloir instrumentaliser le mouvement.
C’est dire combien, dans leur tentative de greffe auprès de « GENZ212 », les partis d’opposition, notamment à gauche, marchent sur une ligne de crête. « Leurs revendications sont les nôtres, mais nos prises de parole à leur égard doivent être millimétrées », précise une source politique. Quant à l’ancien premier ministre, Abdelilah Benkirane, patron du Parti de la justice et du développement (PJD), une formation islamiste et conservatrice, et bête noire d’Aziz Akhannouch, il a indiqué dimanche suivre « avec une vive inquiétude le déroulement des manifestations », tout en tenant « le gouvernement pour responsable de la détérioration des conditions sociales ».
[Source: Le Monde]