Guernesey, entre criques et cottages
Une île anglo-normande dont les baies ont inspiré Renoir et dont les forteresses témoignent de l’histoire.

Connu surtout pour avoir été la terre d’exil de Victor Hugo, ce « morceau de France tombé dans la mer et ramassé par l’Angleterre », comme il l’écrivait, deuxième plus grande île anglo-normande (78 kilomètres carrés et 68 000 habitants), ne saurait se résumer au séjour de l’auteur des Misérables. Chemins de falaise, fortifications de toutes époques et parcours consacré à Renoir justifient à eux seuls une visite.
Derrière la toile

En septembre 1883, âgé de 42 ans, Auguste Renoir vient passer cinq semaines à Guernesey. Il est à l’aube de ce que les historiens appellent sa « période sèche » : « Vers 1883, il s’est fait une cassure dans mon œuvre. J’étais allé jusqu’au bout de l’impressionnisme et j’arrivais à cette constatation que je ne savais ni peindre ni dessiner. En un mot, j’étais dans une impasse », devait-il écrire plus tard. Encore prolifique lors de ce séjour, il y peindra quinze tableaux (dont Rochers de Guernesey avec personnages ou Marine, Guernesey, conservés au Musée d’Orsay, à Paris), la plupart immortalisant la baie du Moulin-Huet, sur la côte sud.
L’association Art for Guernsey, dirigée par un Belge passionné, David Ummels, a organisé en 2023 une exposition de douze de ces toiles à l’impressionnisme encore très marqué. Elle avait aussi installé, autour de la baie du Moulin-Huet, dès 2019, une « promenade Renoir ». Devant les cinq lieux où le peintre a posé sa toile, une reproduction du tableau voisine avec un cadre vide permettant de voir ce qu’est devenu le paysage.
L’occasion est parfaite de monter sur la falaise et d’admirer cette baie de rochers et de sable. Le « cottage », une maison présente sur plusieurs toiles, a été transformé en chambre d’hôte. Plus haut, les restes du moulin ont laissé place à trois maisons d’habitation. Le parcours connaît, depuis sa création, un grand succès. Un autre circuit, plus épars, sera bientôt finalisé autour des dessins réalisés à Guernesey par le maître britannique William Turner (1775-1851).
Les vestiges du joug

Le 30 juin 1940, Guernesey est envahie par les Allemands et reste, jusqu’à sa libération, le 9 mai 1945, le seul territoire européen dépendant de la Couronne britannique à avoir été occupé pendant la seconde guerre mondiale. Les fortifications de l’île, nombreuses et marquées, entre autres, par les guerres napoléoniennes, ont pour la plupart été modernisées et réaménagées par les Allemands, qui en ont aussi construit de nouvelles. On peut, en suivant les falaises, découvrir des canons enfouis, des tranchées souterraines et de vieilles casemates.
Parmi ces vestiges, la tour d’observation de Pleinmont est une étonnante construction de béton dont l’élégance évoque davantage les chefs-d’œuvre du brutalisme que les lourds bunkers de notre côte Atlantique. Près de la baie de Vazon, le fort Hommet, édifié en 1680 puis enrichi de nombreux éléments, domine l’ouest de l’île et permet de visiter une casemate.
Le Musée de l’Occupation allemande, construit dans un tunnel inachevé aux Houards, dans le sud de l’île, présente de nombreux objets : armes, restes de mines, uniformes et photos. A Saint-Pierre-Port, près des jardins Candie, il est possible aussi de visiter le QG des transmissions marines. Là, une vidéo montre son commandant de l’époque, Willi Hagedorn, venu revisiter Guernesey des années plus tard, commenter avec le sourire ce que fut son « travail » sur place, sans aucune allusion au fait qu’il servait le nazisme et que des milliers d’esclaves de l’Organisation Todt – chargée des infrastructures du IIIe Reich – ont succombé en travaillant, le ventre vide, aux fortifications.
Le plus étonnant de ces monuments transformés en musées reste l’hôpital souterrain, à Saint Andrew, qui tenait également lieu de réserve de munitions. Sur deux kilomètres de couloirs immenses, glaciaux, suintants, étaient installées des salles d’hospitalisation aux bat-flanc très serrés et des salles d’opération. Des échelles de plusieurs dizaines de mètres de hauteur, aujourd’hui rouillées, menaient à des sorties d’évacuation dont on se demande bien comment des blessés auraient pu les emprunter. L’expérience est impressionnante.
Au bord des falaises

Guernesey affiche une diversité de paysages. Au centre, c’est une campagne presque idyllique où se succèdent des cottages parfaitement entretenus, de longs murs de pierre et des prés à vaches, ces dernières fournissant un lait d’une qualité vantée partout et qui donne au beurre local sa teinte tournesol. Sans oublier des masses de fleurs : rosiers, camélias, clématites, digitales, jacinthes sauvages et lys de Guernesey, le symbole de l’île, cultivé dès le XVIe siècle.
On notera, devant de nombreux cottages, la présence de honesty boxes (« caisses d’honnêteté »), des boîtes en bois dans lesquels les fermiers placent légumes, œufs ou fleurs à vendre. Ceux qui en prennent laissent dans une tirelire attenante(fermée, quand même…) le prix de ce qu’ils ont prélevé. Et cela fonctionne, sans vol ni arnaque. L’île est très fière de cette tradition, aussi civique que morale.
Mais les plus remarquables paysages sont ceux des côtes. Au sud, elles sont escarpées et plus sauvages. De nombreux cliff paths (« chemins de falaise ») permettent de relier entre elles les criques et les plages, et souvent d’y descendre. C’est là que Victor Hugo a situé l’action des Travailleurs de la mer. La longueur des randonnées est très variable, mais il est possible de quitter les sentiers presque à tout moment.
A droite de Saint-Pierre-Port en regardant vers la mer, on arrive au moulin de Huet. Plus loin, le chemin passe la plage Le Joannet (la seule naturiste), que l’on atteint par une échelle, et celle de Petit Bot, sur laquelle s’ébattent de nombreux baigneurs. A chaque fois, c’est le même sentier, qui monte et descend, frôle le vide, passe à travers les fougères, les genêts, les joncs, les bruyères, et la même vue au loin, qui permet par très beau temps d’apercevoir les côtes de France et presque toujours les îles voisines de Herm et de Sercq.
A l’ouest et au nord, le paysage change. La mer affleure, et les maisons sont à son niveau. A marée haute, c’est une lagune d’où émergent quelques rochers. A marée basse, une longue plaine de sable et de rochers qui file au loin. Pembroke, dans le Nord, est consacrée à la baignade et aux sports aquatiques. A certains endroits, un double mur protège des inondations et des tempêtes. Car, quand la mer se fâche et que le vent ébranle les maisons, c’est aussi l’endroit le plus exposé de l’île.
En train jusqu’à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), puis en ferry jusqu’à Guernesey. La traversée, assurée par Brittany Ferries, dure deux heures. Trajet à la journée possible (59 € l’aller-retour). Attention : un passeport et un document ETA (19 €) sont indispensables.
A Castel, à l’hôtel Fleur du Jardin : un charmant cottage, pourvu d’un restaurant en extérieur. Chambre double à partir de 150 €.
A Saint-Pierre-Port, au Duke of Normandie : un hôtel confortable et très bien placé en centre-ville. Chambre double à partir de 250 €.
Au Renoir Tea Garden, en face de la baie du Moulin-Huet, au début de la promenade Renoir : tout l’art du sandwich britannique, et des formules comprises entre 10 € et 25 €.
A Saint-Pierre-Port, le restaurant Copenhagen offre une très belle vue sur le château Cornet. Fruits de mer et poissons locaux : délicieuse barbue, par exemple. Menu autour de 30 €.
[Source: Le Monde]
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