Au Niger, Mohamed Bazoum, président déchu séquestré depuis deux ans
L’ex-chef d’Etat, élu en 2021 et renversé le 26 juillet 2023, est détenu arbitrairement dans l’enceinte du palais présidentiel à Niamey. Coupé du monde extérieur, reclus dans deux pièces sans droit de sortir à l’air libre, il refuse de démissionner.

Ses proches craignent, à juste titre, que le monde l’oublie. Depuis deux ans, Mohamed Bazoum est coupé du monde, détenu au secret par ses tombeurs. Le 26 juillet 2023, celui qui avait été élu président du Niger deux ans plus tôt était renversé par des putschistes commandés par le chef de sa propre garde rapprochée, le général Abdourahamane Tiani. Depuis, il est séquestré avec son épouse, Hadiza, dans l’enceinte du palais présidentiel, à Niamey.
Strictes dès les premiers jours de captivité, leurs conditions de détention se sont encore durcies après qu’il a été accusé, en octobre 2023, de tentative d’évasion – une affaire « montée de toutes pièces », selon sa défense.
Jusqu’alors enfermés dans leur ancienne résidence présidentielle, M. et Mme Bazoum ont été transférés dans une aile voisine, sous surveillance permanente de militaires armés. Leur univers quotidien se résume à une chambre, un petit salon et un couloir de quelques mètres pour se dégourdir les jambes. Ils n’en sortent jamais. Deux cuisiniers, qui ont tenu à rester à leurs côtés, continuent de préparer leurs repas. « Mohamed Bazoum n’est pas un détenu ordinaire. Il a tenté de s’évader. Cela explique qu’on garde un œil sur lui. Quant à son épouse, rien ne l’empêche de sortir, c’est elle qui veut rester avec lui », justifie une source gouvernementale nigérienne.
Depuis qu’il a été dépossédé de ses téléphones après l’affaire de la tentative d’évasion, l’ancien chef de l’Etat n’a plus qu’un unique lien avec le monde extérieur : son médecin personnel, qui continue de lui rendre visite deux fois par semaine, les mercredis et les samedis. Il s’assure que le couple reste en bonne santé, leur apporte des vivres et de la lecture. « A chaque fois qu’il sort, il nous donne des nouvelles. Lesquelles se résument souvent à “Ils vont bien, leur moral reste haut et ils saluent tout le monde” », explique Ange Amadou Chékaraou, un proche du président déchu.
Malgré ses âpres conditions de détention, M. Bazoum continue de refuser de démissionner. « C’est un démocrate. Il a été élu par le peuple nigérien et ne cédera jamais face à ces putschistes », prévient un de ses anciens conseillers, sous le couvert de l’anonymat. « Qu’il démissionne ou pas, cela n’a aucune importance, rétorque la source gouvernementale précitée. Il est hors jeu depuis longtemps. Son sort n’intéresse plus personne au Niger. »
« Sa détention est illégale »
De fait, l’ex-chef de l’Etat conserve des partisans, mais ceux-ci sont muselés par les militaires au pouvoir. Son parti, le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme, a été dissous, comme toutes les formations politiques du pays. Et, début février, Mahmoud Sallah, le fondateur du Front patriotique de libération, groupe rebelle qui avait pris les armes pour tenter de restaurer l’ordre constitutionnel, a été arrêté dans le sud de la Libye.
Face au refus de son prisonnier de démissionner – et donc de reconnaître son autorité –, la junte a accentué la pression. Accusé, entre autres, d’avoir échangé avec Emmanuel Macron et Antony Blinken, ex-secrétaire d’Etat américain, à propos d’une opération armée – qui a effectivement été étudiée – visant à le réinstaller dans ses fonctions aux premières heures du putsch de juillet 2023, M. Bazoum est accusé de « complot d’attentat à la sécurité et à l’autorité de l’Etat » et de « trahison ». Soit des crimes respectivement passibles de la prison à perpétuité et de la peine de mort. En juin 2024, la levée de son immunité présidentielle par la Cour d’Etat – une cour spéciale créée par la junte – a ouvert la voie à son éventuel procès.
Ses avocats n’ont jamais eu accès au dossier, ni à leur client – hormis une unique visite, en 2024, de Moussa Coulibaly, ancien bâtonnier du Niger. Les décisions des juridictions internationales qui lui étaient favorables n’ont par ailleurs eu aucun effet. En décembre 2023, la cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest avait ordonné sa libération. L’injonction est restée lettre morte, le Niger ayant depuis claqué la porte de l’organisation régionale pour fonder l’Alliance des Etats du Sahel avec le Mali et le Burkina Faso. Plus récemment, en février, les Nations unies ont dénoncé une détention « arbitraire » et demandé sa « libération immédiate ». Là encore, pas de suite. « Il ne se passe rien. Le président Bazoum n’a pas été inculpé formellement pour les crimes qu’on lui reproche. Sa détention est donc illégale », dénonce Seydou Diagne, l’un de ses avocats.
Démunis sur le plan judiciaire, les proches de l’ex-président misent essentiellement sur des initiatives politiques ou diplomatiques pour le sortir de captivité. En janvier 2024, une première médiation togolaise avait abouti à la libération de Salem Bazoum. Le fils de l’ancien couple présidentiel, aujourd’hui âgé de 23 ans, était avec ses parents lors du putsch du général Tiani et a été détenu avec eux pendant près de six mois. Après trois mois en résidence surveillée à Lomé, capitale du Togo, il a rejoint Dubaï pour y poursuivre ses études supérieures.
Les Français sont « bloqués »
Le Maroc, le Qatar, la communauté de Sant’Egidio ou encore le fils du maréchal libyen Khalifa Haftar, de passage à Niamey en mai, ont depuis plaidé pour la libération de M. Bazoum. Jusqu’à présent sans succès. Au fil des mois, ses soutiens extérieurs se sont réduits. Les Etats-Unis et certains pays ouest-africains ou européens, tels le Ghana ou l’Italie, ont adopté une ligne plus conciliante avec les militaires à la tête du Niger. D’autres, comme la France ou la Côte d’Ivoire, continuent d’essayer d’obtenir sa libération.
Pour Emmanuel Macron, la détention de son dernier allié sahélien, dont il était devenu proche, reste une blessure. Il continue donc de plaider sa cause lorsqu’il en a l’occasion. Avec une marge de manœuvre pour le moins limitée : honnie par la junte, la France en est réduite à trouver de bons intermédiaires sans jamais s’exposer, au risque de compliquer encore plus la situation de l’ex-chef d’Etat. « Ce n’est pas que les Français ne veulent plus, c’est qu’ils ne peuvent plus. Ils sont bloqués. Leur action est presque improductive », estime l’ancien conseiller de M. Bazoum.
Prudents, ses proches veillent à rester le plus discrets possible pour ne pas braquer davantage les putschistes. Certains considèrent que la junte, sous pression des groupes djihadistes et en difficulté financière, pourrait faire un geste envers son prisonnier et son entourage afin de montrer sa bonne volonté.
D’autres se montrent plus pessimistes. Ils estiment que leur mentor, devenu un symbole de résistance démocratique dans un Sahel sous cloche militaire, est une épine dans la botte du général Tiani, qui remettrait son adversaire en selle s’il choisissait de le libérer. Le premier cercle de M. Bazoum va même plus loin. Selon eux, il serait aujourd’hui « otage » du chef de la junte, qui s’en servirait comme d’un « bouclier humain » pour parer toute attaque.
Une éventuelle libération pourrait mettre en difficulté un autre homme : Mahamadou Issoufou, parrain politique et prédécesseur de M. Bazoum à la présidence, de 2011 à 2021. Bien qu’il s’en soit toujours défendu, le premier est considéré par les proches du second comme l’instigateur du putsch de juillet 2023 – un « Machiavel » qui aurait « activé » le général Tiani pour préserver des intérêts financiers, affirme l’un d’eux.
Le chef de la junte est en effet un fidèle de M. Issoufou, qui l’avait fait chef de sa garde présidentielle en 2011. M. Bazoum a commis l’erreur de le maintenir lors de son arrivée au pouvoir, dix ans plus tard. Il est aujourd’hui son prisonnier, quand M. Issoufou continue, lui, de participer à des colloques internationaux. Des rencontres lors desquelles il est parfois interpellé sur la détention de son prédécesseur, comme début juin, pendant le forum annuel de la Fondation Mo Ibrahim, à Marrakech (Maroc).
[Source: Le Monde]