Perquisition en cours au siège du RN dans le cadre d’une enquête sur des soupçons de financement illicite

La justice s’intéresse notamment aux prêts accordés par de riches militants au parti d’extrême droite et à ses candidats dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour des soupçons de financement illicite des dernières campagnes électorales.

Juil 9, 2025 - 16:46
Perquisition en cours au siège du RN dans le cadre d’une enquête sur des soupçons de financement illicite
Le président du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella, et la présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale, Marine Le Pen, à l’hôtel Matignon, à Paris, le 30 avril 2025. BERTRAND GUAY/AFP

Selon les informations du Monde, le siège du Rassemblement national (RN), à Paris, a été perquisitionné, mercredi 9 juillet, en présence d’un avocat du parti d’extrême droite, Wallerand de Saint-Just, et du directeur du cabinet de Jordan Bardella, François Paradol. Le président du RN était absent, assistant actuellement à Strasbourg à une session plénière du Parlement européen.

La justice s’intéresse notamment aux prêts accordés par de riches militants au parti d’extrême droite et à ses candidats ses dernières années, dans le cadre d’une information judiciaire ouverte le 3 juillet 2024 pour des soupçons de financement illicite des campagnes du RN aux élections présidentielle et législatives de 2022, ainsi qu’aux européennes de 2024. Les investigations, qui portent également sur des factures supposément majorées pour gonfler le remboursement dû par l’Etat, ont été confiées à la nouvelle brigade financière et anticorruption de la police judiciaire parisienne, issue de la récente fusion entre brigade financière et brigade de répression de la corruption et de la fraude fiscale.

Outre le siège du RN ont été perquisitionnés les « sièges sociaux de sociétés [prestataires des campagnes du RN, soupçonnées de surfacturation], ainsi qu[e les] domiciles des personnes physiques dirigeantes de ces sociétés », précise le parquet de Paris, qui mène ces investigations au sein de la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée. « A ce jour, aucune personne physique ou morale n’est mise en examen dans cette procédure, poursuit le parquet. L’information judiciaire se poursuit. » Selon nos informations, des prêteurs du RN ont été auditionnés ces derniers mois dans toute la France.

« Les documents demandés par les policiers sont en lien avec les prêts dits habituels », relate au Monde le trésorier du RN, le député de Moselle Kévin Pfeffer. « Ils s’intéressent aussi aux régionales 2021, à la présidentielle 2022, aux législatives 2022 et aux européennes 2024. Ils nous ont dit qu’ils en avaient pour la journée : ils demandent tous les documents, les notes, les carnets de notes, les préparations d’émission de Jordan Bardella, tout. »

« Cette opération, spectaculaire et inédite, s’inscrit clairement dans une nouvelle opération de harcèlement. C’est une atteinte grave au pluralisme et à l’alternance démocratique », a, pour sa part, tweeté Jordan Bardella.

Recours massif aux emprunts

Malgré des ressources importantes liées à ses succès aux législatives – 10 millions d’euros de financement public direct touché en 2023, davantage prévu en 2024 –, le RN est l’un des principaux partis ayant développé le recours aux emprunts de personnes physiques ces dernières années. En 2023, date des derniers chiffres disponibles consultés par Le Monde, seuls neuf partis politiques sur 594 utilisaient cette méthode de financement, levant un total de 4 millions d’euros. Deux d’entre eux, le RN et Reconquête !, concentraient 98 % du total des emprunts (85,7 % pour le RN, 12,4 % pour le parti d’Eric Zemmour). En 2022, année électorale plus chargée, quatorze partis recouraient à l’emprunt, levant 10,2 millions d’euros… également concentrés à 98 % sur les deux mouvements d’extrême droite (77,8 % pour le RN et 20,2 % pour Reconquête !).

Si le financement par emprunt levé auprès de personnes physiques est légal, il est strictement encadré par le code électoral et le code monétaire et financier. Les prêts doivent être remboursés dans un délai contraint – au maximum dix-huit mois ou cinq ans, selon le taux d’intérêt choisi – et il ne doit pas être effectué « à titre habituel ». C’est ce dernier point qui a attiré l’attention de la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), dont les nombreux signalements à la justice ces dernières années sont à l’origine de la présente procédure.

Conformément à ses obligations de dénonciation prévues à l’article 40 du code de procédure pénale, la CNCCFP a effectué en 2023 sept signalements auprès de six procureurs, qui se sont pour la plupart dessaisis au profit du parquet de Paris, concernant des prêteurs susceptibles d’être qualifiés d’« habituels ». Ces derniers ont consenti chacun au moins cinq prêts pour plus de 75 000 euros à un parti ou à des candidats du RN ces dernières années. Au total, une centaine d’emprunts sont concernés, contractés par 83 candidats dans le cadre des campagnes électorales de 2023 et des années précédentes, pour un montant total dépassant 2 millions d’euros. Des signalements qui suscitent l’incompréhension du RN. « Sur ce dossier, il n’y a aucune raison de faire une perquisition, la CNCCFP a déjà tous les documents, affirme Kévin Pfeffer. On doit envoyer une fois par an les conventions de prêt, les avenants. »

Bataille autour de la notion d’« habitude »

La notion de « prêt habituel » n’est cependant pas définie expressément dans les codes et a été appréciée in concreto par la CNCCFP. Le RN compte bien contester, devant la justice, les critères établis par la commission. « La notion d’habitude n’est définie ni dans la loi, ni par décret, ni dans les débats parlementaires lors du vote de la loi de moralisation de politique, nulle part, poursuit Kévin Pfeffer. Nous usons de cette possibilité offerte par la loi, possible pour toutes les élections sauf pour la présidentielle, car malgré notre dossier de plus en plus solide de demande de prêt, aucune banque française ne nous finance. » Wallerand de Saint-Just accuse la CNCCFP de faire preuve de « l’arbitraire le plus total » : la commission « a inventé elle-même des critères a posteriori relativement à ces prêts habituels », affirme-t-il.

Cette contestation risque cependant d’échouer : en droit pénal, la succession de deux comportements distincts suffit à constituer la notion d’« habitude » – loin du critère des cinq prêts pour plus de 75 000 euros retenu par la CNCCFP. L’encadrement des prêts par les personnes physiques n’est pas non plus une nouveauté. Il était déjà présent dans la loi depuis 1988 et a été renforcé en 2017 par la loi pour la confiance dans la vie politique.

[Source: Le Monde]