Les droits de douane imposés par Donald Trump entrent en vigueur, signant un nouvel ordre commercial
Les Etats-Unis ont officiellement rompu, jeudi à minuit, avec des décennies de libre-échange, passant d’une taxe moyenne sur les importations de biens encore située autour de 2 % en janvier à 17,3 % actuellement.

Annoncés en grande pompe, maintes fois reportés, les droits de douane américains ont fini par entrer en vigueur, jeudi 7 août, une minute après minuit (heure de Washington, soit 6 h 01 à Paris). De ce nouvel ordre mondial du commerce selon Donald Trump, on peine encore à cerner tous les contours. Une certitude cependant : les Etats-Unis ont officiellement rompu avec des décennies de libre-échange, passant d’une taxe moyenne sur les importations de biens encore située autour de 2 % en janvier à 17,3 % désormais, selon les données compilées par le Budget Lab de l’université Yale. C’est le plus haut niveau depuis le début des années 1930, quand le protectionnisme américain battait son plein.
Derrière ce chiffre global se cachent une grande disparité de situations et encore beaucoup d’inconnues. La plupart des soixante-neuf pays concernés par les annonces de Donald Trump du 31 juillet, dont ceux de l’Union européenne (UE), feront face à un taux de 15 %. Certains Etats sont davantage pénalisés comme ceux d’Asie du Sud Est (entre 19 % et 20 %), l’Algérie, la Bosnie-Herzégovine, la Libye, l’Afrique du Sud (30 %), l’Irak ou encore la Serbie (35 %).
D’autres font l’objet de mesures de rétorsion, en plus des droits de douane. C’est le cas de l’Inde (25 % de taxes supplémentaires), sanctionnée pour ses achats de pétrole russe. Du Brésil (50 % sur certains biens), qui suscite l’ire de Donald Trump en raison des poursuites judiciaires à l’encontre de son allié, l’ex-président Jair Bolsonaro, après sa tentative avortée de coup d’Etat. Le Canada est puni pour avoir tenté de riposter (35 %). Les discussions avec l’autre voisin, le Mexique, ont été reportées de 90 jours. Le Royaume-Uni, qui avait le premier conclu un accord, hérite de 10 %. Enfin, le flou demeure sur le sort du grand adversaire, la Chine, avec lequel les discussions se poursuivent.
Tout est à négocier
Trois constantes se dégagent. La première : l’imprévisibilité demeure. A quelques heures de l’entrée en vigueur des droits de douane, Donald Trump a annoncé que les puces électroniques venant de l’étranger seraient taxées à 100 %, sauf si les entreprises bâtissent des usines aux Etats-Unis. Une manière d’épargner Apple – qui a promis, jeudi, depuis le bureau Ovale, 100 milliards de dollars (86 milliards d’euros) de dépenses sur le sol américain, en vue de préserver sa capacité à investir des sommes autrement importantes en Asie – et les autres géants de la tech américaine. La société taïwanaise TSMC, plus grand fabricant de semi-conducteurs au monde, devrait y échapper de la même façon.
La seconde leçon : tout est à négocier. La Suisse en sait quelque chose. Le pays fait face à 39 % de droits de douane, un taux bien supérieur à celui de ses voisins européens. La présidente de la Confédération, Karin Keller-Sutter, était, jeudi, à Washington, où elle a été reçue par Marco Rubio, le secrétaire d’Etat, dans une ultime tentative d’infléchir la position des Etats-Unis, sans effet à cette heure.
Plus généralement, les détails des accords et des exemptions n’ont pas été publiés et ils font toujours l’objet d’âpres discussions. Celui qui lie l’UE et les Etats-Unis comporte encore de nombreuses zones d’ombre, sur des produits comme l’acier, l’aluminium ou encore les vins et spiritueux. « Même pour les passionnés de commerce, la complexité de tout cela est complètement folle », résume Chad Bown, ancien chef économiste du secrétariat d’Etat, dans le Financial Times.
Dernier enseignement : les droits de douane sont davantage politiques qu’économiques. Donald Trump a réussi à imposer des taxes élevées à la plupart des pays de la planète, sans que ceux-ci ne répliquent. Beaucoup se sont même engagés à des investissements aux Etats-Unis, afin de faire baisser l’addition. C’est le cas de l’UE qui a promis 600 milliards d’euros d’investissements sur le territoire américain et 750 milliards d’achats énergétiques sur les trois prochaines années. Une capitulation symbolique qui permet à Donald Trump et ses alliés de clamer victoire.
Nouvelle ère protectionniste
Les économistes ne dressent pas le même bilan, soulignant que les droits de douane devraient avant tout être largement répercutés sur les consommateurs américains. C’est le cas de Jason Furman, professeur à Harvard et ancien conseiller de Barack Obama, qui a signé une tribune dans le Financial Times : « “Gagnants”, “perdants” et “concessions” sont des termes erronés en matière de politique commerciale. Les Etats-Unis ont désormais relevé le taux tarifaire moyen d’environ 3 % à environ 20 %. Conséquence : les consommateurs américains bénéficieront moins des importations, tandis que les exportations américaines diminueront également. »
Donald Trump répète que les droits de douane vont avoir pour double effet de renflouer les caisses et de ramener l’industrie sur le sol américain – deux objectifs contradictoires. Les taxes déjà en place ont rapporté 72 milliards de dollars de plus que l’année passée à la même période, selon les chiffres de l’université de Penn Wharton, qui fait référence en la matière. C’est tout à la fois conséquent et largement insuffisant pour espérer remplacer l’impôt sur le revenu des ménages les moins aisés, comme l’a fait miroiter Donald Trump. Sur le plan industriel, les promesses se multiplient mais demeurent floues et dépendront du bon vouloir des investisseurs privés.
Quel sera alors l’impact de cette nouvelle ère protectionniste sur l’économie américaine ? Les signaux actuels sont contradictoires et reflètent les effets de la grande incertitude créée par Donald Trump. Aux Etats-Unis, les chiffres du chômage sont historiquement bas, mais le rapport de juillet, qui a valu un licenciement à la directrice du Bureau des statistiques du travail, pointe un ralentissement inquiétant dans la création d’emplois depuis trois mois.
Les données de la croissance montrent que les risques de récession s’éloignent mais elle est largement portée par les investissements massifs dans l’intelligence artificielle. L’inflation semble contenue pour le moment, mais les signes d’une remontée prochaine des prix s’accumulent. Et le déficit commercial a, certes, fondu en juin, mais principalement parce que tous les importateurs ont fait des stocks les mois précédents afin d’éviter les nouvelles taxes.
Interrogé dans le podcast dominical du Wall Street Journal, « Take on the week », le président de la Réserve fédérale (banque centrale) de Chicago (Illinois), Austan Goolsbee, rappelait à la mi-juillet que les biens importés ne représentent « que » 11 % du produit intérieur brut américain et que l’effet des droits de douane pourrait rester mesuré à trois conditions : si les Etats-Unis parviennent à éviter la riposte des autres pays (ce qui semble en bonne voie), si les biens intermédiaires nécessaires à l’industrie du pays sont exemptés (c’est l’objet des négociations) et si les ménages et les marchés « ne paniquent pas ».
[Source: Le Monde]