Olivier Faure : « Il est inimaginable que les socialistes votent la confiance à François Bayrou »
Vote de confiance, mobilisation du 10 septembre, primaire à gauche… Le premier secrétaire du Parti socialiste détaille pour « Le Monde » ses positions et entend proposer une autre solution au « plan Bayrou ».

Pour le premier secrétaire du Parti socialiste (PS), Olivier Faure, le premier ministre, François Bayrou, qui va organiser un vote de confiance le 8 septembre, vient de signer la fin de son gouvernement. A l’image du reste de la gauche, le PS votera contre le locataire de Matignon. Il se défend de vouloir provoquer le « chaos » et renvoie la responsabilité sur l’exécutif. Néanmoins, Olivier Faure soutiendra le mouvement Bloquons tout du 10 septembre, sans être pour autant dans la rue, et critique vertement les dernières sorties de Jean-Luc Mélenchon, qui a rendu le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, responsable de l’invasion de son pays par la Russie.
François Bayrou propose un vote de confiance le 8 septembre, comme le prévoit l’article 49.1 de la Constitution. Quelle sera la réaction des socialistes ?
François Bayrou a fait le choix de partir. Dans les conditions de majorité actuelle, il sait qu’il ne peut obtenir un vote de confiance des oppositions. C’est une autodissolution. Il pense le faire avec le panache de quelqu’un qui envisage une autre étape de sa vie politique. Il est évidemment inimaginable que les socialistes votent la confiance au premier ministre. Comment peut-il croire un seul instant que des opposants à tout ce qui a été fait par ce gouvernement entreraient maintenant dans sa majorité ? Comment, après avoir lui-même dressé un bilan catastrophique des années Macron, peut-il demander aux députés de renouveler aux mêmes leur confiance ?
Un départ de François Bayrou promet un renchérissement du coût de la dette. Ne craignez-vous pas d’en être tenu pour responsable ?
Ce n’est pas moi qui ai annoncé l’activation du 49.1. Cette espèce de « moi ou le chaos », cette façon de toujours vouloir faire porter la charge de la responsabilité à ceux qui ne sont pour rien dans la situation désastreuse de nos finances publiques, ça suffit. Ce n’est pas aux oppositions de porter le fardeau des erreurs de la majorité.
Ne prenez-vous pas le risque de l’instabilité politique ?
Nous ne recherchons pas le chaos avec l’objectif de précipiter un calendrier électoral. C’est François Bayrou qui prend la responsabilité de l’instabilité politique en présentant un budget que personne ne soutient, pas même son électorat. C’est le premier ministre qui refuse de voir que la crise de la dette n’est pas liée aux dépenses, stables depuis de longues années, mais à la perte de recettes du fait des cadeaux fiscaux. Nous ne voulons pas le chaos mais la justice. Nous démontrerons qu’il est possible de juguler les déficits abyssaux dans lesquels nous sommes entrés depuis huit ans. Nous présenterons avec Boris Vallaud et Patrick Kanner, présidents de nos groupes parlementaires, nos propositions chiffrées dans les tout prochains jours.
Serez-vous dans la rue le 10 septembre pour soutenir le mouvement Bloquons tout ?
Le 10 septembre, notre place n’est pas dans la rue et notre rôle n’est pas de chercher à récupérer un mouvement dont on ne connaît d’ailleurs ni l’ampleur ni la nature précise des revendications. Mais nous sommes en empathie avec toute mobilisation qui ramènera le débat dans la sphère économique et sociale et nous fera quitter les débats nauséabonds de la droite identitaire et de l’extrême droite. Notre rôle est ensuite de donner un débouché politique à cette exaspération.
Vous n’appelez donc pas à la grève générale ?
Il n’appartient pas aux partis politiques d’appeler à la grève. C’est le registre du monde syndical, que je respecte trop pour anticiper sur ses décisions. C’est à l’intersyndicale de définir ses mots d’ordre face à un projet de budget que nous condamnons toutes et tous. Contrairement à d’autres, je ne cherche pas à devancer le monde syndical ni à le remplacer. Il est trop précieux, car il permet de structurer une colère et de la faire déboucher sur des revendications précises que nous pouvons, ensuite, débattre et voter.
Ce mouvement trouve en partie ses origines dans des réseaux souverainistes et d’extrême droite. N’est-ce pas un problème ?
Oui, c’est un problème, et je ne partage rien avec ces réseaux-là. Cette date du 10 septembre n’appartient à personne.
Puisque le premier ministre risque de devoir partir, est-ce que la gauche doit présenter à nouveau un candidat à Emmanuel Macron, et est-ce Lucie Castets ?
Qui sait ce que fera le président ? J’ai bien constaté depuis un an qu’il est inutile de jouer la sérénade sous les balcons de l’Elysée. Emmanuel Macron n’écoute que lui-même. Je me permets de lui adresser un conseil : le mieux qu’il puisse faire est d’entendre ce que nous avons à proposer comme alternative au plan Bayrou et de laisser le Parlement choisir sa propre voie.
Marine Tondelier a encore évoqué ce week-end une primaire « de Mélenchon à Glucksmann ». Raphaël Glucksmann a répété qu’il ne voulait pas y participer. L’union de la gauche et des écologistes n’avance pas beaucoup…
L’union avance. A Bagneux [Hauts-de-Seine], en juillet, socialistes, écologistes, Génération.s et ex-« insoumis » ont choisi de faire cause commune pour 2027. J’ai compris que Jean-Luc Mélenchon refusait d’y participer. Marine[Tondelier] espère que les « insoumis », dans un éclair unitaire, se rallient tôt ou tard à cette procédure. Jean-Luc Mélenchon, avec constance, a toujours refusé tout processus collectif pour l’élection présidentielle. C’est vrai depuis 2017. Quant à Raphaël Glucksmann, dès lors que Jean-Luc Mélenchon n’est pas associé à un choix commun, avec qui serait-il irréconciliable ? Nous verrons ensuite les modalités de désignation du candidat. La primaire est un chemin, sans doute le plus vraisemblable, mais il est utile de ne fermer aucune porte et de regarder avec l’ensemble des forces, du PCF à Place publique, ce qu’il est possible de faire pour parvenir à un large accord pour un candidat commun en 2027.
Jean-Luc Mélenchon a répété, comme en 2022, qu’une « déclaration de guerre » avait été faite à Moscou en proposant à l’Ukraine d’intégrer l’OTAN et l’Union européenne, ajoutant que Volodymyr Zelensky n’était « président de rien ». Qu’en pensez-vous ?
C’est un gros coup de canif dans l’accord du programme du NFP. Il est clair qu’il y a un agresseur, la Russie, et une victime, l’Ukraine. Jean-Luc Mélenchon renverse grossièrement la responsabilité de l’agression. Volodymyr Zelensky a fait tenir son pays debout, il a eu le courage, y compris physique, d’entrer en résistance quand les Russes menaçaient de renverser Kiev. Ce qu’a dit Jean-Luc Mélenchon est une aberration. Ses vieux démons « campistes » qui le hantaient ont repris le dessus. Je suis résolument du côté de la résistance ukrainienne. La vocation de la Russie sous Vladimir Poutine est son expansionnisme. Il ne se donne aucune limite. La seule chose qui puisse l’arrêter est le rapport de force que nous devons installer avec lui.
Quel regard portez-vous sur le début des négociations entre l’Ukraine et la Russie, souhaitées par Donald Trump ?
L’Union européenne doit cesser de chercher son salut dans le protectorat du grand frère américain. La relation transatlantique telle que nous l’avons connue depuis 1945, c’est terminé. L’Europe doit se prendre en charge, en assumant la défense des Ukrainiens, en s’interrogeant peut-être même sur la protection du ciel ukrainien. Cette Europe impuissante, dont la vocation se limite à gérer la paix entre ses membres mais s’avère incapable de prendre des positions politiques fortes, m’est insupportable. La scène des chefs d’Etat prenant ensemble la leçon dans le bureau Ovale est une humiliation. Donald Trump n’est pas notre souverain. Nous ne sommes pas ses vassaux.
La France fait l’objet d’attaques de la part du gouvernement américain, par la voix de son ambassadeur, sur ses relations avec Israël. Les comprenez-vous ?
La lettre de Benyamin Nétanyahou et les mots de l’ambassadeur américain sont inacceptables. Ils dévoient complètement la lutte contre l’antisémitisme. Je soutiens la position du président de la République quand il déclare vouloir reconnaître un Etat de Palestine, mais ça n’est pas suffisant pour faire plier le gouvernement israélien qui a lancé le nettoyage de Gaza et relance la colonisation de la Cisjordanie. Il faut des sanctions. Que les Européens se ressaisissent en décrétant un embargo sur les armes et suspendent l’accord d’association avec Israël qui, aux termes de son article 2, est conditionné au respect des droits humains. Si organiser la famine comme une arme de guerre est toléré, alors c’est la fin de toute régulation internationale. Il y a un génocide en cours à Gaza. Ce qui s’éteint, c’est la vie de dizaine de milliers de femmes et d’enfants, mais aussi ce que nous avons construit depuis 1945 : la volonté de résoudre les conflits par le dialogue et le respect du droit international.
[Source: Le Monde - interview]