Dubaï, un nouveau marché pour les écoles de commerce françaises

Depuis quelques années, l’émirat, avec ses espaces ultramodernes, sa sécurité, ses plages et sa grande mixité culturelle, attire les grandes écoles françaises. L’EM Normandie, Skema, l’ESCP Business School y ont ouvert des campus avec succès, et Grenoble Ecole de management s’y prépare.

Nov 9, 2025 - 10:53
Dubaï, un nouveau marché pour les écoles de commerce françaises
NATHALIE NACCACHE POUR « LE MONDE »

En plein cœur de Dubaï, Knowledge Park a des airs de campus à l’américaine, avec ses pelouses bien taillées, ses bancs ombragés et ses grappes d’étudiants, café à la main, qui circulent entre les bâtiments. Ici, pas de gratte-ciel à l’architecture futuriste, comme ailleurs dans la ville, mais de petits bâtiments blancs aux façades arrondies. Sur l’une d’elles, des bannières indiquent l’entrée de l’EM Normandie. « Knowledge Park, ce sont 17 000 étudiants qui bénéficient de toutes les services, avec un tram qui arrive en plein milieu du quartier. Nos jeunes sont au cœur de ce bassin étudiant », se félicite Khaireddine Mouakhar, le directeur du campus de l’école de management normande.

La salle de jeux de l’EM Normandie, à Dubaï (Emirats arabes unis), le 15 octobre 2025.

Bien loin de son implantation historique du Havre, l’école de commerce française s’est installée à Dubaï il y a trois ans. De 100 étudiants la première année, puis 198 la deuxième, ses effectifs sont passés à 300 en cette rentrée de septembre. Dans ses locaux flambant neufs qui occupent tout un étage du bâtiment, on croise des étudiants français bien sûr mais aussi d’autres nationalités. « En tout, nous accueillons 19 nationalités. Dans le top 5 figurent les Emiratis, les Français, les Indiens, les Nord-Africains, et les pays d’Asie centrale comme l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, l’Azerbaïdjan… Environ 70 % de nos effectifs sont recrutés localement, 30 % sont en mobilité [ils viennent d’un autre campus pour un ou deux semestres] », précise Khaireddine Mouakhar.

Chiara, 21 ans, autrichienne, étudiante à l’université du Liechtenstein, est là pour un semestre avant de s’inscrire peut-être en master à Gland, en Suisse. Terris et Ambroise, français, 21 ans chacun, étaient étudiants sur le campus de l’EM à Paris, et ils sont là pour leur quatrième année de Bachelor of Business Administration (BBA). Même les profs viennent d’ailleurs. Ulas Ozen, responsable du cours de Supply Chain Management (gestion des approvisionnements), vient de Turquie ; Rabeb Ben Abdallah, enseignante en management et stratégie, de Tunisie. « J’ai des amis indiens, pakistanais. On est tous des expatriés, tous pas chez nous », indique Sarra, 22 ans, franco-tunisienne, qui vient de finir un master en marketing international.

Ville-monde

Un couloir de l’EM Normandie, à Dubaï (Emirats arabes unis), le 15 octobre 2025.

Ville-monde, ville-carrefour, hub régional : Dubaï attire. Pas seulement une poignée d’influenceurs, mais les entreprises, les banques, les hommes et femmes d’affaires, les investisseurs, ceux qui veulent se lancer, tenter leur chance dans la mondialisation. Les faces sombres du pays – son régime autoritaire, les questions autour de l’empreinte écologique de son développement ou les fortes inégalités sociales – sont rarement évoquées. En vingt ans, la population de l’émirat – l’un des sept qui forment les Emirats arabes unis (EAU) – est passée de 1,4 million à 4 millions d’habitants, dont moins de 10 % d’Emiratis.

Depuis quelques années, l’émirat est aussi dans le viseur des écoles de commerce françaises. Si l’EM Normandie est la première à avoir ouvert un campus sur place, en 2022, elle a été rejointe depuis par l’ESCP Business School, Skema et, bientôt, par Grenoble Ecole de management, en cours d’accréditation. Khaireddine Mouakhar se souvient de cette première rencontre en 2019 avec des alumni installés sur place. « Là, on a vraiment saisi que Dubaï se positionnait comme une ville-monde. Il faut savoir que plus de 60 % de la population de la planète peut rejoindre Dubaï en moins de quatre heures de vol. »

L’endroit est en effet une aubaine pour des écoles de commerce françaises soumises à une forte concurrence internationale, et qui seront bientôt confrontées à une baisse démographique drastique. Dubaï fourmille de candidats potentiels. Des Français et des francophones d’abord : la communauté française aux EAU est en constante augmentation, avec 32 600 personnes, rien que pour les inscrits auprès du consulat. Qu’ils aient été envoyés par leur entreprise ou venus par leurs propres moyens, beaucoup sont là avec leur famille. Le réseau des écoles françaises aux Emirats comptait 12 000 inscrits à la rentrée 2024.

« Il y a aussi un fort besoin de formation de la part d’Emiratis et de personnes qui gravitent dans la région. Dubaï est une zone qui permet de recruter en Inde, au Moyen-Orient, en Afrique. C’est l’une des raisons qui ont guidé notre choix d’implantation », confirme Anne-Sophie Courtier, directrice générale de l’EM Normandie. Pour certaines nationalités, il est également devenu plus facile de venir étudier à Dubaï que d’obtenir un visa pour les Etats-Unis ou le Royaume-Uni. Les distances sont moins grandes, le dépaysement culturel moins radical. Et dans ce marché mondial de l’enseignement supérieur, la France jouit d’une bonne réputation, notamment pour ses écoles de management bien placées dans les classements internationaux scrutés par les étudiants.

Le foyer étudiant de l’EM Normandie, à Dubaï (Emirats arabes unis), le 15 octobre 2025.

C’est exactement ce qui s’est passé pour Kruthi, 24 ans, originaire de Bangalore, en Inde. Cette architecte d’intérieur voulait compléter son parcours par une formation en commerce international et a choisi Skema. « Ils ont un grand réseau international et les tarifs sont plutôt abordables », souligne la jeune femme, qui a payé 20 000 euros son année. Même si ses parents, fonctionnaires, ont dû contracter un prêt, c’est deux fois moins que ce qu’elle aurait versé aux Etats-Unis ou en Australie. Seul défaut de Dubaï à ses yeux : pas assez exotique. « La communauté indienne est très nombreuse. Du coup, je retrouve la même nourriture, les mêmes applis. Même la langue ne me manque pas ! », s’amuse-t-elle.

Rêve de prospérité et d’ascension sociale

Autre école à avoir rejoint l’émirat, en septembre 2024, Skema Business School est installée dans le quartier financier de Dubaï, le Dubaï International Finance Center. La zone, entièrement piétonne, est une sorte de City dubaïote où se concentrent les sièges des grandes banques et des entreprises. Ambiance feutrée, restaurants et galeries d’art : « On a été très impressionnés quand on a découvert nos locaux », avoue Arnaud Lacheret, le directeur du campus.

L’école, qui occupe plusieurs étages d’un immeuble, aux côtés de l’université de Georgetown et de la London Business School, a elle aussi vu ses effectifs croître rapidement, de 44 étudiants la première rentrée à 210 inscrits en janvier 2026. « Dubaï, c’est l’endroit où le rêve de prospérité et d’ascension sociale est encore possible. Les jeunes se sentent dans un univers où ils pourront réussir pour de vrai. Et, en tant qu’école, on est capable de leur offrir ici des possibilités qu’ils n’auraient pas en France », déclare le directeur.

Le batiment de l’EM Normandie, qui partage ses locaux avec la Middlesex University Dubai (de Londres), à Dubaï (Emirats arabes unis), le 15 octobre 2025.

Des dirigeants de Capgemini, de la Barclays ou encore de HSBC sont déjà intervenus devant les étudiants. Ce matin-là, c’est la Française Sylvie Ouziel, directrice de Blue Bridge Group AI, qui donne une conférence. Avec un accent français à couper au couteau, elle raconte à son auditoire les secrets de son parcours chez Accenture, Allianz, Envision (entreprise chinoise), Publicis, et la création de sa propre entreprise dans l’IA, distillant au passage quelques conseils.

Président de l’association Skema Finance Dubaï, Théo Amichi, 21 ans, pantalon et chemise clairs, est bien placé pour témoigner de ce sentiment de « facilité ». « Mon avion a atterri le 10 septembre à Dubaï. Le lendemain, on avait rendez-vous avec les ressources humaines d’une grande banque. Ce sont eux qui nous ont demandé des stagiaires ! En France, c’est hypercompétitif : on peut être 400 à 500 candidats pour une offre », relate l’étudiant en première année de master.

Et ce ne sont pas seulement des perspectives de stages que les écoles peuvent présenter à leurs étudiants en s’installant à Dubaï. Ce sont aussi des débuts de carrière sur les chapeaux de roue, à condition de beaucoup travailler. Ali Sebti, 22 ans, étudiant marocain, est venu dans le cadre du « programme grande école » et pensait rentrer en France au bout d’un semestre ou aller dans un autre campus à l’étranger, mais il a trouvé un stage rémunéré dans un cabinet luxembourgeois de conseils financiers. « Quand on voit le dynamisme de la ville, on n’a pas envie de partir. C’est comme s’il n’y avait pas de limites au développement. Ici, on peut networker [se constituer un réseau]. On descend prendre une salade pour le déjeuner et on se retrouve à discuter avec un grand patron. Ici, c’est “je te teste”, alors qu’en France, c’est “je regarde ton CV”. »

Dans la bataille à laquelle se livrent les écoles de commerce françaises pour attirer les étudiants, Dubaï offre aussi une expérience de vie un peu différente des destinations habituelles. Melina, 22 ans, est arrivée en septembre pour une formation Global Luxury and Management que Skema a lancée en partenariat avec le géant du luxe LVMH. Dubaï n’était pas forcément son premier choix. « J’avais des a priori négatifs, pour moi, c’était que du bling-bling. En fait, on découvre plein de gens différents qui cohabitent sans problème. En tant que fille, surtout, je me sens bien, en sécurité. »

La bibliothèque de l’EM Normandie, à Dubaï (Emirats arabes unis), le 15 octobre 2025.
Une salle de travail de l’EM Normandie, à Dubaï (Emirats arabes unis), le 15 octobre 2025.

Pour les jeunes désireux de vivre quelques mois à l’étranger, l’émirat a des atouts à faire valoir : le soleil, la plage, des endroits où sortir à tous les prix, trois lignes de métro ultramodernes, un fort sentiment de sécurité à toute heure. Quant au coût très élevé du logement, il trouve grâce aux yeux des jeunes expatriés. « Je paie 1 800 euros par mois, mais dans ma résidence, j’ai une piscine, une salle de sport, un réceptionniste », explique Melina. Terris trouve la vie chère et la nourriture française lui manque, mais il ne regrette pas son choix et aimerait commencer sa carrière ici : « C’est un endroit où les choses vont vite pour l’entrepreneuriat. » Une donnée pas anodine pour des jeunes qui ont pour la plupart contracté des prêts de plusieurs dizaines de milliers d’euros pour financer leurs études.

Accréditations longues et exigeantes

Bien consciente que la destination est en vogue chez les étudiants, Grenoble Ecole de management voudrait être la prochaine business school française à s’implanter. « On est en plein dans les procédures d’autorisation, souligne la directrice, Fouziya Bouzerda, jointe par téléphone. Notre objectif est de commencer l’année prochaine et d’atteindre 1 500 étudiants d’ici à trois ans. »

Pour s’installer, il faut montrer patte blanche. S’ils ont largement ouvert leurs portes aux universités et écoles internationales, les émirats gardent la main sur leur offre de formation. Les écoles, comme les formations, doivent être accréditées à Dubaï par le Knowledge and Human Development Authority et, au niveau fédéral, par la Commission for Academic Accreditation. Un processus long et exigeant.

« Ce que les émirats veulent, ce sont des formations de très haut niveau », ajoute Bastian Dufilhol, directeur du campus Dubaï de l’ESCP. Arrivée dans l’émirat il y a trois ans, l’école, qui occupe le haut des classements internationaux, a choisi un autre positionnement que celui de ses concurrents. Pour le moment, elle propose uniquement de la formation continue, principalement à destination des Emiratis. « On s’inscrit dans la stratégie éducative des EAU qui se projettent en 2033 », insiste le responsable. Après des Masters of Science en Big Data et Business Analytics, qui réunit 70 à 80 inscrits en moyenne, l’école prévoit d’ouvrir trois nouveaux programmes, tous à destination de cadres. Avec des tarifs qui débutent à 62 000 euros l’année, c’est un autre axe de développement rentable pour les business schools françaises.

Dernier atout pour les établissements candidats à une installation : le réseau des anciens élèves, nombreux à Dubaï, vu le dynamisme économique du pays – le taux de croissance des EAU devrait atteindre 5 % en 2025. L’EM Normandie en revendique 350, Skema 500. Expatriés dans de grands groupes ou eux-mêmes entrepreneurs, ils sont une bonne carte de visite pour des formations privées qui fonctionnent avant tout sur le réseau.

Sortie diplômée en marketing de l’EM Normandie en 2015, Alia Gilotaux a commencé par un stage chez L’Oréal, où elle est aujourd’hui la directrice de marque. Une évolution qui aurait été beaucoup moins rapide ailleurs. « Ici, si les gens performent bien, ils ont vite des opportunités pour évoluer », précise-t-elle. Alizée Hocdé est elle aussi arrivée après ses études et a fait carrière dans le luxe, d’abord chez Piaget, puis Cartier. « J’ai démarré en bas, par un stage. Ce n’est pas forcément le faste que l’on imagine au début en arrivant à Dubaï, il faut beaucoup travailler, mais c’est un marché très dynamique », confirme-t-elle.

Tous sont aussi de bons VRP pour le système dubaïote : pas d’impôts sur le revenu, pas de charges sociales pour les entreprises, une assurance-santé payée par l’employeur. « Je dirais quand même aux jeunes : “Faites attention, il y a beaucoup de tentations à Dubaï. Ne flambez pas tout ! Vous n’aurez pas le filet de sécurité qu’il y a en France” »,prévient Jean-Gérard Lesuisse, lui aussi diplômé de l’EM Normandie, employé dans un groupe d’aviation d’affaires. Avis aux aventuriers du business.

Une salle de classe de l’EM Normandie, à Dubaï (Emirats arabes unis), le 15 octobre 2025.