Au Honduras, les électeurs appelés à juger le bilan de la première présidente de gauche, Xiomara Castro

Des élections présidentielle, législatives et municipales sont organisées dimanche dans le pays d’Amérique centrale. La présidente sortante a consacré l’essentiel de son mandat à la lutte contre l’insécurité. Donald Trump a appelé les électeurs à voter pour le candidat de droite.

Nov 30, 2025 - 11:52
Au Honduras, les électeurs appelés à juger le bilan de la première présidente de gauche, Xiomara Castro
La présidente hondurienne, Xiomara Castro, lors d’une cérémonie au Palais national, siège de la présidence mexicaine, à Mexico, le 25 novembre 2025. MARCO UGARTE / AP

Près de 6 millions d’électeurs honduriens sont appelés aux urnes dimanche 30 novembre pour élire un président ou une présidente, les 128 députés du Congrès et près de 300 maires. La campagne électorale a été marquée par des accusations de fraude réciproques et des promesses en matière économique. Mais les trois principaux candidats ont très peu abordé le bilan de Xiomara Castro, la première présidente de gauche du pays, élue en 2021 sous les couleurs du Parti Liberté et refondation (Libre), dont le mandat s’achèvera le 27 janvier 2026 et qui ne se représente pas.

La présidente a dû consacrer le plus gros de son énergie à la lutte contre l’insécurité, alors que son prédécesseur, Juan Orlando Hernandez (2014-2022, Parti national, droite), a été condamné, en 2024, à quarante-cinq ans de prison aux Etats-Unis pour trafic de drogue. Lors de son procès, les procureurs américains avaient défini le Honduras comme un « narco-Etat », responsable de l’envoi de plus de 500 tonnes de cocaïne aux Etats-Unis. Mme Castro avait donc hérité d’un pays en déliquescence, infiltré par le narcotrafic et considéré comme l’un des plus violents d’Amérique centrale.

Xiomara Castro a opté pour la manière forte face au crime, reproduisant l’expérience du président salvadorien, Nayib Bukele, et a décrété l’état d’urgence en décembre 2022. La mesure, qui permet aux forces de police de perquisitionner des domiciles et de procéder à des arrestations sans mandat de la justice, a été depuis renouvelée à 24 reprises, bien souvent sans l’aval du Congrès, où le parti Libre est minoritaire.

Les actes violents ont bien baissé de 27 % par rapport au second mandat de Juan Orlando Hernandez, et le taux d’homicides, 26 pour 100 000 habitants, est le plus bas enregistré depuis trente ans. « Cependant, relativise Joaquin Mejia Rivera, chercheur à l’ONG Alliance pour la paix et la justice, il n’y a pas de lien entre l’état d’urgence et la baisse des homicides, car cette diminution a été constante depuis 2012. Tous les gouvernements du Honduras depuis 2002 ont décrété des états d’urgence, mais avec Mme Castro, cette situation est devenue permanente et ne concerne que les quartiers les plus pauvres. Nous considérons cette mesure comme classiste et discriminatoire, alors que nous savons qu’une certaine élite participe activement au narcotrafic. »

Depuis l’instauration de l’état d’urgence, les forces de sécurité affirment avoir réalisé plus de 60 000 perquisitions et arrêté près de 5 000 personnes. « Ces chiffres montrent que l’expérience hondurienne n’a rien à voir avec celle du Salvador, où près de 90 000 personnes ont été emprisonnées en trois ans », rappelle Tiziano Breda, coordinateur pour l’Amérique latine au sein de l’ONG Acled (Armed Conflict Location & Event Data) et auteur d’une étude récente sur la violence au Honduras.

Disparitions en hausse

L’enquête d’Acled montre que l’administration de Mme Castro a été beaucoup plus active que celle de son prédécesseur pour éradiquer les cultures de coca : le nombre de destructions de cultures a été cinq fois plus important que durant le second mandat de M. Hernandez. « Il est important de noter aussi que ce gouvernement a adopté une attitude bien moins répressive envers les mouvements paysans, ajoute Tiziano Breda. Les conflits fonciers, souvent liés à l’expansion du narcotrafic, sont désormais gérés par une Commission pour la sécurité agraire, alors qu’avant, c’était l’armée qui était envoyée pour traiter manu militari ces conflits. »

Les experts sont divisés sur les causes réelles de la baisse de la violence. Certains estiment que le renouvellement des responsables de la police et de la justice a permis de mettre à leur tête des personnalités reconnues pour leur expérience dans la lutte contre le crime organisé. D’autres considèrent que la baisse de la violence est plutôt liée à un changement de tactique des groupes criminels : la présence de la police militaire dans les centres urbains les a obligés à se faire beaucoup plus discrets qu’auparavant et a déplacé leurs activités.

« Nous n’avons plus vu de massacres ou de corps laissés dans la rue. Mais si les homicides ont baissé, les disparitions ont par contre augmenté, en particulier dans les zones rurales, ce qui confirme que les groupes criminels ont recours à une violence moins visible et plus difficile à comptabiliser », considère Leonardo Pineda, expert en sécurité.

Selon la direction des enquêtes policières, 1 523 disparitions ont été enregistrées en 2024, contre 1 230 en 2023, alors que la plupart de ces crimes ne sont pas dénoncés par crainte des représailles. Cette violence dans les zones rurales se traduit par le déplacement forcé de la population. Le Honduras est le seul pays d’Amérique à figurer dans le classement des pays les plus touchés par ce phénomène, selon le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC). En 2024, environ 100 000 personnes ont été déplacées à l’intérieur du territoire hondurien en raison de la violence.

Préoccupations économiques

Si la présidente a porté son attention sur la lutte contre l’insécurité, elle n’a par contre rien mis en place contre la corruption, qui était pourtant une promesse de sa campagne. Mme Castro a bien signé en décembre 2022 un protocole d’accord avec les Nations unies pour créer la Commission internationale contre la corruption et l’impunité au Honduras (Cicih), sur le modèle de celle qui a fonctionné pendant douze ans au Guatemala et avait permis de démanteler 70 structures criminelles. Mais la Cicih n’a jamais été installée, car le gouvernement n’a pas mis en place les réformes législatives nécessaires à son fonctionnement.

La relation avec les Etats-Unis n’a pas non plus été facile. Aux yeux de l’administration Trump, le Honduras de Mme Castro est d’abord un allié du Venezuela. Tegucigalpa a dû accéder aux demandes américaines d’être un pont aérien pour le retour des migrants vénézuéliens. Et même si Xiomara Castro a menacé un temps de rompre le traité d’extradition avec les Etats-Unis, elle n’en a rien fait et a extradé 54 personnes, un record par rapport à ses prédécesseurs. Mercredi, Donald Trump a apporté son soutien, sur les réseaux sociaux, à Nasry Asfura, le candidat du Parti national (droite), ajoutant qu’il « ne pourra[it] pas travailler » avec l’avocate de gauche Rixi Moncada et qu’il ne faisait « pas confiance » au troisième prétendant, le présentateur de télévision Salvador Nasralla (droite).

Donald Trump a aussi exprimé son soutien au Parti national en annonçant, vendredi, qu’il accorderait « une grâce totale et absolue à l’ancien président Juan Orlando Hernandez qui, d’après de nombreuses personnes qu’[il] respecte énormément, a été traité de manière très dure et injuste ».

Selon une enquête d’opinion, la première préoccupation des Honduriens n’est plus l’insécurité mais l’économie. Pendant l’actuel mandat, le taux de pauvreté a été réduit de 13 points, mais, avec un chiffre de 60 %, il reste toujours supérieur à son niveau d’avant la pandémie de Covid-19, qui était de 59 %. Le taux de chômage, lui, a été pratiquement divisé par deux. C’est donc sur l’économie que les candidats à la présidence ont centré leurs interventions, et aucun n’a clairement donné son opinion sur la continuité ou non de l’état d’urgence.

[Source: Le Monde]