Le Bénin frôle le basculement après une tentative de putsch

Le président, Patrice Talon, a affirmé, dimanche soir, avoir repris le contrôle du pays et des forces armées, quelques heures après que des militaires ont annoncé l’avoir démis de ses fonctions. Les forces de la Cedeao et du Nigeria sont intervenues contre les putschistes.

Déc 9, 2025 - 11:15
Le Bénin frôle le basculement après une tentative de putsch
Des soldats patrouillent devant le siège de la radio-télévision du Bénin, après la tentative de coup d’Etat contre le président ; Patrice Talon, à Cotonou, le 7 décembre 2025. CHARLES PLACIDE TOSSOU/REUTERS

Dix jours après un putsch en Guinée-Bissau et moins de deux mois après un autre bouleversement à Madagascar, il s’en est fallu de peu pour que le Bénin rejoigne, dimanche 7 décembre, la longue liste des pays africains ayant connu un coup d’Etat militaire ces cinq dernières années. A l’issue d’une journée confuse, durant laquelle des militaires ont attaqué à l’aube sa résidence, à Cotonou, puis affirmé à la télévision nationale l’avoir destitué, le président, Patrice Talon, s’est exprimé, à 20 heures, du palais présidentiel que des mutins avaient tenté de prendre d’assaut quelques heures plus tôt.

« Je voudrais vous assurer que la situation est totalement sous contrôle. (…) La sécurité et l’ordre public seront maintenus partout sur le territoire national », a déclaré le chef de l’Etat béninois, ajoutant que « cette forfaiture ne restera pas impunie ». Saluant le « sens du devoir de [l’armée] et de ses responsables qui sont restés républicains et loyaux à la patrie », il a assuré que les « dernières poches de résistance des mutins » avaient été « nettoyées ».

Patrice Talon a par ailleurs déploré des victimes, sans en préciser le nombre, et affirmé que des aspirants putschistes étaient en fuite avec des otages. Selon des sources concordantes, ils détenaient toujours, dimanche soir, deux hauts gradés. La plupart des mutins provenaient de la garde nationale, une unité militaire qui constitue le cœur de l’appareil sécuritaire béninois.

Les premiers échos du putsch se sont fait entendre aux alentours de 7 heures, lorsque des tirs nourris ont été signalés autour de la résidence du président, dans le centre de Cotonou, à proximité de l’ambassade de France. D’autres assaillants ont tenté d’attaquer le palais présidentiel, mais ils ont été rapidement repoussés par la garde républicaine. Selon des sources sécuritaires interrogées par Le Monde, au moins deux personnes ont été tuées dans les combats.

« Dégradation de la situation sécuritaire »

En milieu de matinée, huit militaires faisaient irruption à la télévision nationale, la SRTB. Vêtu d’un tee-shirt et d’un gilet par balles, fusil d’assaut autour du cou et casque mal ajusté, leur porte-parole a annoncé que le « Comité militaire pour la refondation [avait] démis le président de ses fonctions » et désigné le lieutenant-colonel Pascal Tigri comme son meneur. Cet officier artilleur est le commandant des forces spéciales, lesquelles sont placées sous la tutelle de la garde nationale.

Dénonçant la gouvernance de Patrice Talon, les mutins ont justifié leur action par la « dégradation continue de la situation sécuritaire dans le nord du Bénin », la « négligence envers les soldats tombés au front et leurs familles laissées à leur sort », ainsi que par « des promotions injustes au détriment des plus méritants », selon les messages lus à la télévision.

Frontalier du Burkina Faso et du Niger, le septentrion béninois est régulièrement la cible d’attaques meurtrières menées par des groupes djihadistes sahéliens. Mi-avril, au moins 54 soldats ont été tués dans le parc national du W, soit la plus lourde perte jamais subie par l’armée depuis le début des incursions djihadistes dans le nord du pays, fin 2021.

Dès la mi-journée, un dirigeant ouest-africain avait indiqué au Monde que Patrice Talon, avec qui il avait pu s’entretenir, lui avait confié être « en sécurité », se disant « confiant sur le fait que tout allait rapidement rentrer dans l’ordre ».

La situation est un temps demeurée plus confuse autour du siège de la SRTB, dont le signal a été coupé après l’annonce des mutins. Vers midi, Alassane Seidou, le ministre de l’intérieur, s’est exprimé dans une allocution diffusée à la télévision nationale pour affirmer que « les forces armées béninoises et leur hiérarchie, fidèles à leur serment » avaient pu « garder le contrôle de la situation et faire échec à la manœuvre ».

Malgré ces déclarations rassurantes, l’incertitude a persisté jusqu’en début de soirée, dimanche, et l’allocution du président Talon. Dans l’après-midi, des tirs et des détonations ont ainsi continué à résonner dans certains quartiers, notamment à Fidjrosse, près de l’aéroport, ainsi que dans une base de la garde nationale avoisinante où étaient retranchés des mutins. Selon l’Agence France-Presse, citant des sources sécuritaires, au moins 12 militaires ont été arrêtés. D’autres, parmi lesquels des meneurs des mutins, sont toujours recherchés.

Dérive autoritaire

La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a annoncé dans la soirée avoir « ordonné le déploiement immédiat d’éléments de sa force en attente » au Bénin – provenant du Nigeria, de la Sierra Leone, de la Côte d’Ivoire et du Ghana – afin de « préserver l’ordre constitutionnel ». De son côté, l’armée de l’air nigériane a affirmé, sans plus de précisions, avoir frappé des cibles à Cotonou, à la demande des autorités béninoises. « Des forces nigérianes au sol sont actuellement au Bénin », a ajouté Abuja dans son communiqué.

L’intervention de la Cedeao, décidée en quelques heures, est la première de l’organisation régionale depuis 2017 en Gambie. En 2023, les Etats membres de l’organisation avaient menacé les putschistes au Niger de les déloger par les armes, mais, divisés, ils avaient finalement renoncé à intervenir. Les militaires du général Tiani, président du Niger, sont parvenus à garder le pouvoir et ont depuis quitté la Cedeao et noué un partenariat étroit avec la Russie.

Elu en 2016, Patrice Talon doit quitter le pouvoir à l’issue de son second mandat, après la présidentielle prévue le 12 avril 2026, à laquelle il ne peut se présenter. Pour lui succéder, sa majorité a choisi comme candidat son ministre des finances, Romuald Wadagni. Le chef de l’Etat sortant, qui a d’abord prospéré dans les affaires avant de se lancer en politique, est régulièrement accusé par ses opposants de dérive autoritaire, dans un pays longtemps salué pour le dynamisme de sa démocratie.

Le candidat des Démocrates, le principal parti d’opposition, n’a ainsi pas été autorisé à se présenter. La formation de l’ancien président Thomas Boni Yayi pourra seulement avoir des candidats aux élections législatives prévues le 11 janvier 2026. Le 15 novembre, le camp présidentiel a fait adopter une révision constitutionnelle critiquée par ses adversaires. Cette modification prévoit l’allongement des différents mandats, y compris présidentiel, de cinq à sept ans, et la création d’un Sénat aux prérogatives assez étendues, dont une des missions est de « réguler la vie politique »béninoise.

Les opposants à Patrice Talon considèrent que cette Chambre haute, où il siégera de droit en tant qu’ancien président, a été créée « sur mesure » pour lui permettre de continuer à garder la main sur le pays. Durant ses deux mandats, marqués par de bons résultats économiques, M. Talon a entretenu des liens étroits avec Emmanuel Macron, faisant de son pays un des alliés privilégiés de la France dans une région où elle a largement perdu en influence au fil des putschs intervenus successivement au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et au Niger.

[Source: Le Monde]