Le grizzli, les myrtilles et l’île, parabole d’une coexistence compliquée entre les hommes et les ours au Canada

Depuis qu’il a été aperçu sur l’île Texada, en Colombie-Britannique, l’ours Tex est au centre d’une polémique. Cet animal qui tend à s’approcher des humains a déjà dû être déplacé une première fois. Faut-il l’abattre ou l’éloigner de nouveau ? Le débat illustre l’augmentation des conflits dans un pays où les ursidés sont nombreux.

Juin 26, 2025 - 08:03
Le grizzli, les myrtilles et l’île, parabole d’une coexistence compliquée entre les hommes et les ours au Canada
L’ours Tex aperçu sur l’île Texada (Canada), le 25 mai 2025. MARK ROBERT

Mark Robert a cru un instant que ses yeux lui jouaient des tours : de mémoire d’homme, jamais un grizzli n’avait été aperçu à Texada, sa petite île de 1 100 âmes située à 200 kilomètres au nord-ouest de Vancouver. « Il s’est rendu ici à la nage ! », soit une traversée d’au moins 4 kilomètres, s’étonne encore le quinquagénaire, qui se promenait en voiture, le 25 mai, avec sa conjointe et ses deux chiens quand il est tombé sur le grand ursidé. « Je suis resté figé un instant, c’était une sacrée surprise. »

Pour informer ses voisins, il a publié la photo du dodu Tex sur un groupe Facebook local. Depuis, l’île Texada est divisée : que faire de lui ? « Un tiers de la ville veut qu’il soit tué, un autre veut qu’on le laisse tranquille et un dernier souhaite qu’il soit relocalisé », constate Mark Robert. En attendant, le grizzli se promène librement. Mais les autorités provinciales sont sur leurs gardes : elles affirment que l’animal a déjà couru après des riverains.

Tex incarne le défi que représente la coexistence entre les hommes et les ours en Colombie-Britannique, où ils sont nombreux : plus de la moitié des 26 000 grizzlis du pays – soit un quart de toute la population de l’Amérique du Nord – vit dans cette province, qui compte aussi entre 120 000 et 150 000 ours noirs.

Minimiser les risques de rencontres

L’étalement urbain, qui vient rogner le territoire de l’ours, décuple les possibilités de rencontres entre l’homme et l’animal. Quand ce dernier s’approche des maisons, il est souvent abattu par les agents provinciaux de protection de la faune. Depuis 2011, plus de 6 000 ours noirs ont ainsi été tués. Obtenus par les Fur-Bearers, une association de défense animale, ces chiffres ont provoqué une prise de conscience collective, ces trois dernières années.

L’autre solution ? Déplacer les ours. Tex a déjà été transporté deux fois par les agents provinciaux, à plus de 75 kilomètres de l’endroit où il avait été observé au départ, soit dans les parages d’une école à Gibsons, à environ 60 kilomètres au sud-est de l’île. « Plus elle est lointaine, plus la relocalisation peut marcher. Mais un jeune ours qui arrive sur un nouveau territoire, où il va tomber sur un mâle dominant, peut en être chassé. Par ailleurs, s’il a appris à manger dans les poubelles, il peut être tenté de recommencer ailleurs », analyse le biologiste Wayne McCrory, un des plus grands spécialistes canadiens des grizzlis, qu’il étudie depuis cinquante ans.

Pour lui, la vraie solution pour que l’homme et l’ours coexistent harmonieusement est de minimiser les risques de rencontres entre les deux espèces. « Si tu ne laisses pas tes poubelles dehors sans protection, l’ours sera moins tenté. Une loi existe pour forcer les gens à prendre ces mesures, mais elle n’est pas appliquée. » Des programmes municipaux ont également été mis sur pied pour inciter les propriétaires à remplacer leurs arbres et arbustes fruitiers par d’autres, afin que les ursidés ne soient pas tentés de venir faire un tour dans les jardins et d’y faire une razzia de myrtilles.

Une troisième relocalisation est exclue

Le gouvernement provincial assure, par courriel, qu’il n’y a pas d’ordre de tuer Tex pour l’instant, mais exclut une troisième relocalisation, en raison de son « comportement agressif ». Il justifie cette politique en soutenant qu’un ours qui n’a plus peur des hommes ne peut plus être déplacé.

« Ils vont le tuer à la prochaine occasion », redoute Lesley Fox, directrice générale des Fur-Bearers. « Souvent, les agents expliquent qu’ils abattent les animaux en raison d’un manque de ressources financières pour faire mieux. Mais là, nous sommes prêts à couvrir les coûts d’un nouveau déplacement et il a déjà son point de chute », ajoute-t-elle. La première nation Mamalilikulla, à 115 kilomètres de l’île Texada, propose de l’accueillir sur ses terres, mais la province exclut cette option. Mark Robert, lui, croise les doigts pour que Tex quitte son île comme il est arrivé, à la nage. « Mais je crois qu’il aime trop nos petits fruits… »

[Source: Le Monde]