Après le « feu exceptionnel » qui a parcouru 2 100 hectares aux portes de Narbonne : « Ce que j’ai vécu, c’était une guerre »
L’incendie, qui s’est déclaré lundi, a été fixé mercredi soir. Sa vitesse de propagation et sa puissance ont surpris les pompiers. Plus de 1 500 soldats du feu professionnels et volontaires ont été mobilisés.

« Là, on va à la guerre. Si certains ne le sentent pas, qu’ils descendent. » Ces mots, le chef des pompiers les a adressés solennellement à ses hommes, en entrant sur le domaine géré par Arnaud Gassier et son père, à Bages (Aude), à quelques kilomètres de Narbonne. Lorsque le vigneron de 28 ans nous les répète deux jours plus tard, c’est comme si le mur de flammes qu’il a vu à ce moment-là se levait à nouveau devant lui. Arnaud Gassier ne devait que guider les pompiers sur son domaine de Haute-Fontaine, et évacuer dans la foulée, mais l’encerclement de sa propriété par les flammes l’a contraint à rester aux côtés des hommes du feu, au plus fort du sinistre, lundi 7 juillet.
Ce jour-là, le jeune homme aperçoit un rideau de fumée au-dessus des collines, derrière chez lui, en sortant de déjeuner. Une demi-heure après, le ciel était orange, et une heure plus tard, le feu se dirigeait droit sur lui, laissant juste le temps d’évacuer les lieux. « Ce que j’ai vécu ensuite, c’était une guerre. Pour la deuxième fois de ma vie, j’ai ressenti la force de la nature. La première fois, c’était face à un ouragan en Guadeloupe. Cette fois, c’était face aux flammes. Ça a été des heures fascinantes, mais effrayantes aussi », raconte le vigneron qui a pensé perdre cette propriété acquise il y a quatre ans, et d’où doit sortir la première cuvée Gassier cette année. « Ce lundi soir, on avait quatre Canadair au-dessus de nous qu’on ne voyait même pas, tant le feu était partout présent, épais même. Et les camions de pompiers traversaient les murs de flammes pour sauver notre bâti », explique-t-il, reconnaissant envers ceux qui se sont battus pour ses biens.
Né lundi 7 juillet aux portes de Narbonne, ce premier grand incendie de l’été dans le département (après deux autres qui ont brûlé quelque 700 hectares chacun) n’a été fixé que mercredi à 18 heures, à l’issue d’une bataille hors normes, de l’aveu même du directeur départemental du service départemental d’incendie et de secours (SDIS), Christophe Magny. Pour lui, « c’est un feu exceptionnel, qui marquera l’histoire de l’Aude ».
Un « grand feu » qui « marquera plus d’un pompier »
Exceptionnel, ce sinistre l’a été par les 2 100 hectares qu’il a parcourus ; par les dix kilomètres sur lesquels il a laissé derrière lui un tapis de cendres chaudes, d’arbres calcinés avec parfois quelques carrés de verdure épargnés. Les flammes étaient, elles aussi, hors normes par l’énergie qu’elles dégageaient. Ce qui a d’ailleurs valu quelques frayeurs aux soldats du feu. « Fait rarissime, nous avons eu trois appels de détresse de camions pris au milieu des flammes. Dans ce cas, un dispositif d’aspersion du camion se met en fonction, mais ce n’est pas une procédure fréquente », rappelle le colonel Magny. « Ce feu, qu’on peut qualifier de “grand feu”, vu sa vitesse de propagation et sa puissance, marquera plus d’un pompier présent ici ce mois de juillet », ajoute-t-il. D’autant que parmi les 1 050 hommes qui se sont relayés, au moins 80 % n’étaient pas des professionnels, mais des volontaires dont une bonne partie n’avait même jamais combattu de feux de forêts.
Outre les conditions météo très difficiles avec des vents à 85 km/h, un air très sec, une température élevée, ce sinistre a été difficile à gérer car il a évolué sur une zone riche en lieux d’exception. De l’abbaye de Fontfroide, site quasiment millénaire qui accueille jusqu’à près de 100 000 visiteurs par an, à la dizaine de vignobles et leur château, en passant par la présence de l’autoroute, la route départementale et bien évidemment la ville de Narbonne, dont les quartiers les plus périphériques ont été confinés, les sites à protéger étaient nombreux et ont augmenté la difficulté du combat. Après les jours de sinistre, les dégâts se résument à la destruction de trois habitations et d’une grange, trois autres structures ont été endommagées et quelques véhicules touchés.
Nathalie Bueno Raynal figure parmi les victimes. Trois chevaux de son écurie sont morts brûlés, leurs abris ont été détruits, comme le tracteur et les 80 tonnes de foin qu’elle venait de faire rentrer. Parce qu’elle vit avec son conjoint Christian Raynal au milieu d’une cuvette entourée de collines boisées, la soigneuse avait mille fois imaginé l’arrivée du feu chez elle. « Dans mon scénario, on rentrait les chevaux à l’écurie et comme il n’y a pas de végétation autour, tout allait bien. Sauf que là, ça ne s’est pas passé comme ça », expose-t-elle.
« Je suffoquais »
Poussé par les rafales de vent, le feu a brusquement changé de direction et s’est dirigé sur droit sur eux. Des écuries voisines étaient venues chercher la majeure partie des chevaux et le dernier à quitter les lieux, Christian Raynal, a échappé de peu à l’asphyxie. « Je suis parti en voiture au moment où le feu passait la route départementale, je suffoquais et n’ai la vie sauve que grâce aux piquets plantés sur le bas-côté de la route, que j’essayais de suivre parce que je roulais dans le nuage de fumée », rappelle l’homme, encore traumatisé.
Victimes ou non, c’est toute la ville de Narbonne qui ressort choquée de ces journées de feux. Dans ces moments-là, ce n’est pas facile d’être maire, observe Bertrand Malquier (divers droite), « on doit afficher une grande sérénité face aux populations, mais on n’est pas du tout serein. Quand je me suis endormi pour quelques heures la nuit de lundi à mardi, je n’avais qu’une angoisse, c’était de savoir quel paysage j’allais trouver en me réveillant », confie-t-il.
Natif de l’Aude, l’édile regrette déjà les paysages de garrigues qui ont troqué le vert pour le gris des cendres et le noir des combustions. Au passage, il regrette aussi qu’aucun appel téléphonique ne soit venu de la Place Beauvau pour s’assurer que tout allait bien dans cette gestion difficile. Dans le fond, il sait bien que l’incendie de Marseille a fait pâlir les flammes qui léchaient sa petite ville de 57 000 habitants. Le feu audois a été éteint sans les Canadair qui n’ont été utilisés dans ce département que jusqu’à lundi soir, (avec 3 Dash et 2 hélicoptères bombardiers d’eau mobilisés le même jour). Mercredi matin, pour travailler avec plus de précision, un vol de drones a permis d’évaluer les points de réactivation du feu pour y déverser 21 largages successifs d’eau grâce aux hélicoptères Bombardier à disposition du SDIS 11.
[Source: Le Monde]