A Gaza, les pertes de l’armée israélienne alimentent des prises de position sur la fin de la guerre
L’embuscade dans laquelle sont tombés des soldats près de la ville en ruine de Beit Hanoun, dans la nuit du 7 au 8 juillet, a porté à 450 le nombre de militaires israéliens morts dans l’enclave depuis octobre 2023.

L’embuscade dans laquelle sont tombés des soldats israéliens à Gaza, dans la nuit de lundi 7 juillet à mardi 8 juillet, a porté à 450 le nombre de militaires morts dans l’enclave palestinienne depuis le début de la guerre, en octobre 2023.
Un détachement du bataillon Netzah Yéhouda patrouillait dans une zone découverte, rasée par les bombardements et les bulldozers israéliens, non loin de la ville en ruine de Beit Hanoun, dans le nord de l’enclave, où une zone tampon a été décrétée pour, en théorie, empêcher le Hamas d’y opérer. Un petit groupe de ses combattants est cependant parvenu à s’y infiltrer, vraisemblablement en empruntant des tunnels. Ils ont pu installer des engins explosifs activables à distance. Le premier de ces dispositifs a atteint des soldats du groupe ; deux autres ont été ensuite mis à feu, tandis que le reste de l’unité israélienne se massait autour des blessés. Depuis les ruines voisines, des tireurs embusqués ont ouvert le feu. Cinq soldats ont été tués, et 14 blessés.
Cette embuscade, plus élaborée que nombre d’attaques précédentes, semble illustrer les doutes formulés de plus en plus ouvertement par des responsables militaires sur la raison d’être de la poursuite de la guerre à Gaza.
Actions de guérilla
La région de Beit Hanoun est l’une des plus labourées par les bombardements, les opérations et les bulldozers israéliens depuis le début de la guerre dans l’enclave, immédiatement après l’attaque terroriste du Hamas, le 7 octobre 2023. Plusieurs fois, l’armée a déclaré que les unités du mouvement islamiste y avaient été détruites. Des éléments du groupe continuent pourtant de s’y infiltrer et d’y mener des actions de guérilla. Depuis la mi-mai et le lancement de l’opération israélienne « Chariots de Gédéon », dernière offensive terrestre massive en date, 31 soldats ont été tués.
Comme le relève Amos Harel, l’analyste militaire du quotidien Haaretz, ces pertes subies accompagnent des interrogations croissantes au sein de l’opinion. Un proche de l’un des soldats tués mardi a déclaré, lors de son enterrement : « Tu as été un soldat courageux dans une guerre sans but. » Le responsable de l’opposition, Yaïr Lapid, a quant à lui déclaré sur X : « Pour le bien des combattants, pour le bien de leurs familles, pour le bien des otages, pour le bien de l’Etat d’Israël : cette guerre doit prendre fin. »
Mercredi, l’armée israélienne a également annoncé qu’un de ses soldats avait été tué près de Khan Younès, dans la partie sud de l’enclave, alors qu’un petit groupe du Hamas tentait de l’enlever. Le militaire était en train de manœuvrer un engin de chantier. Un nombre important de soldats israéliens sont employés à ce genre de tâches, participant aux travaux de destruction à grande échelle dont le but est de remodeler toute l’enclave, en prenant un contrôle croissant de sa surface.
L’idée, lancée le 7 juillet par le ministre de la défense, Israel Katz, de masser toute la population de Gaza dans ce qu’il a qualifié de « ville humanitaire », qu’il voudrait voir édifier par l’armée sur les ruines de ce qui fut Rafah, intégralement rasée, hérisse cependant une partie des responsables militaires. Au sein de l’état-major, les premières voix opposées à la poursuite de la guerre étaient apparues dès le début 2024. Ces opinions se fondaient sur un raisonnement froidement tactique, selon lequel l’étendue des dommages infligés aux structures militaires du Hamas avait atteint son maximum, qu’il était illusoire de pourchasser des petites unités de survivants, isolées dans les ruines, et que cela se paierait en morts inutiles de soldats.
Pousser le Hamas à plier
Depuis, cette vision a pris de l’ampleur, notamment depuis la violation de la trêve par Israël, en mars, après deux mois de cessez-le-feu. A la mi-avril, une lettre signée par plus de 1 500 militaires venant d’horizons divers, notamment du renseignement ou de l’armée de l’air, s’opposait à la poursuite du conflit à Gaza. L’opération « Chariots de Gédéon » n’en avait pas moins été décidée quelques jours plus tard par le cabinet de sécurité israélien. Elle a débuté dans l’enclave le 16 mai, alors que des délégations des deux camps se trouvaient au Qatar, à la recherche d’une solution négociée au conflit. Le gouvernement israélien a expliqué que son objectif était d’exercer une « pression considérable »sur le Hamas pour le pousser à plier. Le but une nouvelle fois affiché par les autorités est de détruire les capacités militaires du Hamas et de libérer des otages restants par le biais d’une « extension du contrôle opérationnel » de Gaza. L’armée a récemment affirmé contrôler 80 % de la superficie de Gaza.
Des militaires en nombre croissant ont récemment pris la parole dans les médias pour faire part de leur opposition à la poursuite de la guerre. Une nouvelle lettre en ce sens a été rendue publique en juin ; des réservistes jugeaient notamment que « cette guerre n’atte[gnai]t pas ses objectifs et met[tait] surtout en danger la vie des otages ». Selon la presse israélienne, c’est aussi la position défendue devant le gouvernement par le chef d’état-major, Eyal Zamir, le 29 juin, qui estimait : « Plus on avance [dans Gaza], plus on met en péril les otages. » « Il y a une forme de fatigue manifeste face à la guerre, et cela se traduit par le fait que des voix s’élèvent de façon plus importante au sein de l’armée pour le dire », analyse Yagil Levy, spécialiste de l’univers militaire israélien à l’Open University d’Israël (à Raanana), près de Tel-Aviv, avant de mettre en garde aussitôt : « On est cependant loin d’avoir atteint une masse critique de voix opposées à la poursuite de la guerre, parmi les militaires comme au sein de la société. Ces voix demeurent minoritaires. »
L’universitaire estime que les raisons qui poussent les réservistes, comme les officiers, à prendre la parole sont davantage liées à la volonté d’obtenir la libération des derniers otages (il en reste 50, dont une grande partie serait aujourd’hui décédée), qu’à une réaction face à l’ampleur des morts et des destructions du côté gazaoui – plus de 57 000 personnes ont été tuées en vingt et un mois, dont une majorité de civils, selon le ministère de la santé de l’enclave, des chiffres jugés fiables par l’ONU. « Depuis quelques semaines, néanmoins, un tabou se brise. Désormais, dans les manifestations en faveur de la libération des otages, on aperçoit quelques personnes avec des pancartes où figurent des photos d’enfants de Gaza. Jusqu’ici, cela ne s’était jamais vu », remarque Yagil Levy.
[Source: Le Monde]