Des juristes israéliens ont écrit à Benyamin Nétanyahou pour dénoncer une guerre d’agression
Dix-neuf spécialistes du droit international et de philosophie juridique soulignent, dans un courrier adressé au premier ministre de l’Etat hébreu, que le droit de recourir à la force en état de légitime défense « n’est pas illimité ».

Dix-neuf professeurs israéliens de droit international et de philosophie juridique ont mis en garde Benyamin Nétanyahou contre toute poursuite de la guerre à Gaza. Dans un courrier adressé au premier ministre israélien, mercredi 6 août, ces éminents juristes estiment que la poursuite de la guerre dans la bande de Gaza serait « illégale ». Selon eux, elle « peut même constituer un acte d’agression, engageant la responsabilité pénale personnelle des hauts responsables de l’Etat ».
Ces sommités du droit en Israël, parmi lesquels Yaël Ronen, professeure et chercheuse en droit international à l’Université hébraïque de Jérusalem, après avoir été diplomate et juriste au ministère des affaires étrangères, Eyal Benvenisti et Yuval Shani, qui plaident pour Israël devant la Cour internationale de justice, ou Eliav Lieblich, de l’université de Tel-Aviv, disent se sentir « obligés d’avertir ». Si les attaques terroristes perpétrées le 7 octobre 2023 par le Hamas et d’autres groupes armés dans le sud de l’Etat hébreu « représentaient pour Israël une grave menace contre laquelle il était en droit, voire obligé, de se défendre », le droit de recourir à la force en état de légitime défense « n’est pas illimité » et doit être réévalué, à l’heure où le gouvernement envisage l’« expansion des opérations militaires contre le Hamas ».
Les professeurs israéliens passent la situation au crible de deux principes au cœur du droit international humanitaire : la nécessité militaire et la proportionnalité. Ils estiment que la poursuite de la guerre ne permettrait pas de libérer les 49 otages enlevés le 7-Octobre – dont au moins une vingtaine seraient encore vivants selon Benyamin Nétanyahou – encore détenus dans la bande de Gaza, ni de « dégrader sérieusement les capacités militaires du Hamas et l’empêcher d’attaquer Israël dans un avenir proche ».
Les auteurs du courrier se réfèrent aux récentes évaluations d’experts militaires, selon lesquels « le Hamas ne pose plus de menace à Israël depuis la bande de Gaza », et poursuivent leur démonstration : l’éventuel bénéfice sécuritaire serait marginal et disproportionné face à l’ampleur des dommages. « La bande de Gaza est un paysage de dévastation, poursuivent les juristes. Sa population civile souffre de la faim et est confrontée à un risque persistant d’effondrement humanitaire et de pertes massives de vies innocentes, notamment des enfants, des personnes âgées, des femmes et des personnes handicapées, dont les chances de survie sont de plus en plus menacées par les hostilités en cours. »
« Graves crimes internationaux »
Pour seule réponse, les juristes ont reçu un avis automatique de réception de leur courrier. D’autres lettres adressées à plusieurs dirigeants israéliens alertent déjà depuis plusieurs mois. Le 10 juillet, 16 professeurs interpellaient le ministre de la défense, Israel Katz, le chef d’état-major, le général Eyal Zamir, la procureure générale d’Israël, Gali Baharav-Miara, et son adjoint, Gil-Ad Noam, ainsi que d’autres responsables au sujet du « plan de concentration de la population de Gaza », dans le sud de l’enclave. Présenté par Israel Katz, le 7 juillet, le plan de création d’« une soi-disant ville humanitaire » sur les ruines de Rafah pourrait, selon eux, constituer des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, dont celui d’extermination.
Ce plan, estiment-ils, pourrait créer « des conditions de vie pouvant conduire à la destruction physique » des Palestiniens de Gaza, « une conduite qui tombe sous le coup de l’interdiction du génocide ». Les juristes rappellent les ordonnances de la Cour internationale de justice, prononcées début 2024, sommant Israël de ne pas commettre d’actes de génocide.
D’autres courriers portent sur l’opération « Chariots de Gédéon », l’offensive terrestre lancée début mai, ou demandent à la procureure générale d’Israël et à son homologue militaire, Yifat Tomer-Yerushalmi, d’ordonner des enquêtes sur les meurtres et les blessures infligées aux points de distribution de l’aide humanitaire depuis le 1er juin. Une enquête est également réclamée pour le meurtre de 15 professionnels de santé paramédicaux, le 23 mars, au sud de Rafah. La justice israélienne a l’obligation d’ouvrir des investigations, disent les auteurs des courriers. Des enquêtes véritables pourraient permettre aussi à Israël d’échapper à la Cour pénale internationale, qui a émis des mandats d’arrêt contre Benyamin Nétanyahou et l’ex-ministre de la défense Yoav Gallant.
« Quiconque planifie, autorise ou met en œuvre ce plan peut être tenu personnellement responsable de graves crimes internationaux », affirment les juristes, qui mettent en garde les soldats ou les officiers de rang intermédiaire, précisant qu’« en raison de son illégalité évidente, l’argument de l’ordre supérieur ne sera pas recevable, et certainement pas dans les enceintes internationales ou étrangères ».
Les professeurs de droit et de philosophie juridique interviennent alors que les procédures judiciaires lancées en Europe et en Amérique latine contre des soldats israéliens – parce qu’ils possèdent une double nationalité, sont en vacances ou en déplacement – se multiplient. « Les dirigeants et commandants qui ordonnent aux forces de Tsahal [l’armée israélienne] d’exécuter ce plan leur ordonnent de facto de commettre des actes manifestement illégaux, les exposant ainsi à des poursuites pénales dans le monde entier », précisent les juristes.
[Source: Le Monde]