Les « nepo babies » au cinéma, ces « fils et filles de » qui trustent le devant de la scène
A l’instar des Etats-Unis, une nouvelle génération d’« enfants de » déferle sur le cinéma français. Ils assument plus ou moins leur prestigieux héritage tout en tentant de se faire un prénom.

Il fut un temps où être bien né vous offrait une terre, un mariage avantageux et une dot généreuse. Aujourd’hui, c’est un rôle dans une série Netflix, une couverture de magazine et une place à la table de « C à vous ». A tout juste 20 ans, les enfants des célébrités prennent la lumière.
Parmi les jeunes « fils et filles de », les « petits-enfants de », les « frères et sœurs de », les « filleuls de » et les « cousins de », on retrouve sur nos écrans Lily-Rose Depp (fille de Vanessa Paradis et Johnny Depp), Kim Higelin (petite-fille de Jacques), Suzanne Lindon (fille de Sandrine Kiberlain et Vincent Lindon), Victor Belmondo (petit-fils de Jean-Paul), Raïka Hazanavicius (fille de Serge), Saül Benchetrit (fille d’Anna Mouglalis et Samuel Benchetrit), Carmen Kassovitz (fille de Mathieu), Shanna Besson (fille de Maïwenn et Luc Besson), Mouna Soualem (fille de Hiam Abbass et Zinedine Soualem), Paul et Samuel Kircher (fils d’Irène Jacob et Jérôme Kircher), Nine d’Urso (fille d’Inès de la Fressange), Vassili Schneider (frère de Niels et Aliocha), Zoé Adjani (nièce d’Isabelle)… La dynastie people s’étend. Certes, les lignées d’acteurs ont toujours existé en France – les Brasseur, Cassel, Bohringer, Gainsbourg ou Seydoux –, mais le phénomène prend aujourd’hui une ampleur inédite, s’étendant à toutes les strates de la notoriété.
Le terme « nepo baby » est apparu sur Twitter en février 2022, lorsque Meriem Derradji, une Canadienne de 24 ans, spécialiste du support technique, a découvert que la star de la série HBO Euphoria, Maude Apatow, à laquelle elle ne trouvait rien de spécial, n’était autre que la fille de l’actrice Leslie Mann et du réalisateur Judd Apatow : « Wait, I just found out that the actress that plays Lexi is a nepotism baby omg [“Attends, je viens d’apprendre que l’actrice qui joue Lexi est une enfant du népotisme ! Oh mon Dieu”]. » Son cri du cœur devint viral, et, avec lui, le néologisme « nepotism baby », souvent condensé en « nepo baby ».
Quelques mois plus tard, en décembre 2022, le New York Magazine publiait une enquête de neuf pages sur l’explosion du nombre de « fils et filles de » intitulée « Elle a les yeux de sa mère. Et son agent ». En une, des bébés dans des couveuses avec le visage adulte de Maya Hawke (fille d’Uma Thurman et d’Ethan Hawke), Zoë Kravitz (fille de Lisa Bonet et de Lenny Kravitz) ou John David Washington (fils de Denzel Washington). « Bien plus que pour la plupart d’entre nous, le destin d’un nepo baby est déterminé par un tour de roulette génétique, écrit Nate Jones, l’auteur de cet article franchement mordant. La mannequin Ava Phillippe a largement profité de sa ressemblance parfaite avec sa mère [Reese Witherspoon], tandis que les filles de Bruce Willis et Demi Moore [Rumer, Scout et Tallulah] ont sans aucun doute été gênées par l’héritage du trait le plus célèbre de leur père : son menton. »
Selon lui, personne n’incarnerait mieux ce que le système a de plus endogame et caricatural que Brooklyn Beckham (fils de David et Victoria Beckham), qui peut « faire la une du numéro Young Hollywood de Variety sans jamais s’approcher de ce que vous ou moi pourrions considérer comme un travail normal ». Le jeune homme, 23 ans alors, s’est essayé au football, au mannequinat, a publié un livre de photos sobrement titré What I See (« Ce que je vois », non traduit, Penguin, 2017) avec des éléphants vus de loin, et s’est lancé dans la cuisine. Son compte Instagram est suivi par plus de seize millions d’abonnés.
« Il y a un effet dynastique »
Les « enfants de » sont connus avant d’avoir dit un mot. On les a vus naître, fêter leurs anniversaires, partir en vacances en famille… Les parents ont fait les présentations officielles sur les tapis rouges des avant-premières peu de temps avant qu’ils n’obtiennent leur premier job. « Il y a un effet dynastique, suggère Aurore Gorius, coautrice avec Anne-Noémie Dorion de Fils et filles de… Enquête sur la nouvelle aristocratie française (La Découverte), paru en 2015, au moment où la renommée médiatique des héritiers les plus en vue s’est amplifiée sous la lumière crue des réseaux sociaux. On n’a plus de rois, on n’a plus de reines, mais on a quand même des familles qu’on suit. »
Une étude autrichienne menée par Eva Maria Schörgenhuber, publiée en août 2022 par l’éditeur britannique Taylor & Francis Group, montre que la crise due à la pandémie de Covid-19 a accentué l’exposition des enfants de stars. Ce qui relevait autrefois de la télé-réalité – à l’image de « L’Incroyable Famille Kardashian » (2007-2021) – est devenu une norme : les célébrités utilisent désormais leur intimité comme une véritable scène de visibilité.
En France, les privilèges ne s’exhibent pas, ils s’insinuent, c’est plus ténu. Il y a une forme de pudeur feutrée, une élégance discrète, presque honteuse, à griller les étapes. Un père confie que son adorable fille a eu le rôle dans son dos, un autre fait apparaître sa cadette en figuration, une mère glisse un cœur sous la publication de son adolescente, une autre met en « story » la date du prochain concert de son fils…
L’entre-soi n’est jamais nommé, il est suggéré. « Les pistons ? Ça, je ne peux pas savoir », réagissait avec répartie l’acteur Louis Garrel (fils du réalisateur Philippe Garrel et de l’actrice Brigitte Sy) à la question provocatrice du présentateur du « 12/14 », sur France 3, le 10 décembre 2003. « C’est toujours au-dessus, c’est toujours Dieu qui règle ces histoires-là. Donc je ne peux pas savoir, peut-être que je suis pistonné par Dieu ou je ne sais pas. » Vingt ans plus tard, à 12 ans, Oumy Bruni Garrel (fille adoptive de Louis et Valeria Bruni-Tedeschi), tenait le premier rôle dans Neneh Superstar, de Ramzi Ben Sliman.
« A chaque audition, on me parlait de mon père »
En mai, au Festival de Cannes, Cédric Klapisch, venu présenter le bien nommé La Venue de l’avenir, s’est montré sincèrement surpris de constater qu’il avait choisi sept « enfants de » parmi lesquels Suzanne Lindon, Paul Kircher, Sara Giraudeau, Julia Piaton (fille de Charlotte de Turckheim)… « Je m’en suis aperçu vraiment en fin de casting, répond-il alors sur Allociné. Pour certains, je me suis dit : “Est-ce que je les enlève du casting parce que j’ai trop d’enfants de ?” Et puis, je me suis dit que c’était absurde. Je ne vais pas refuser des gens parce que leurs parents sont acteurs. (…) Les gens qui sont des fils de ont besoin de faire leurs preuves. »
Pour les besoins de cette enquête, plusieurs agences ont été sollicitées pour relayer notre demande d’interview auprès d’enfants de célébrités. Sans succès. Le sujet reste sensible. Régulièrement, ces jeunes figures évoquent leur héritage à l’occasion d’une actualité, mais quand il s’agit de parler frontalement du nom, l’affaire est plus délicate.
Seule Antonia Desplat (Plaine orientale, sur Canal+) a accepté de se livrer. Avec sincérité et recul, elle aborde cette question qui l’a longtemps taraudée. « J’ai commencé très jeune, et, à chaque fois que j’arrivais à une audition, on me parlait de mon père… Ensuite, pendant des années, j’ai essayé de faire disparaître de Google les photos où l’on était ensemble », confie-t-elle. Fille du compositeur oscarisé Alexandre Desplat, elle a même envisagé de changer de nom : « L’idée m’a traversé l’esprit plusieurs fois, mais je savais que ça le blesserait. » Impressionnée par le parcours de son père – « Il enseignait la flûte » –, elle s’est imposé des défis supplémentaires pour prouver qu’elle méritait sa place.
Alors, elle s’est éloignée. A 15 ans, elle s’est installée seule à Londres, où elle a suivi, quelques années plus tard, les cours du Drama Centre, puis de l’East 15 Acting School. Certes, tout un chacun n’a pas les moyens de ses choix, mais, pour elle, il était essentiel de suivre une formation rigoureuse. « Je ne voulais pas que l’on pense que je m’étais réveillée un matin en me disant : “Hop, je suis actrice.” Au Royaume-Uni, c’est la formation qui crédibilise votre présence dans un projet. Ce n’est pas comme aux Etats-Unis ou en France, où les contacts peuvent aider. »
Lors de sa première année d’études, elle n’a parlé de sa famille à personne. Jusqu’à ce qu’un camarade, passionné de musique de film, fasse le lien : « “Desplat ? Comme Alexandre Desplat ?” Et là, tout le monde a su. Les petites remarques ont suivi : “Toi, ça ira”, “Tu n’as pas à t’en faire…” Pourtant, je ne m’étais pas facilité la tâche. J’étais au Royaume-Uni, où les rôles de Françaises ne couraient pas les rues ! » Pari gagné : dans Modi. Three Days on the Wing of Madness, film de Johnny Depp (pas encore sorti en France), elle incarne… une Anglaise. Après avoir fait ses armes à l’étranger, elle revient enfin dans l’Hexagone : « Aujourd’hui, je ressens le désir et la légitimité de travailler ici. »
« Une marque »
Certains fils et filles de célébrités peuvent, sans le vouloir, sembler déconnectés des réalités. Il n’est pas rare qu’ils aient du mal à trouver les bons mots, donnant parfois l’impression de ne pas mesurer les privilèges qui les accompagnent.
« Toute ma vie, j’ai refusé le cinéma. J’en avais marre qu’autour de moi chacun connaisse mon avenir, excepté moi ! J’étais frustrée d’entendre que je serais actrice à cause de mes parents », explique dans les pages du Figaro MadameDeva Cassel (fille de Monica Bellucci et Vincent Cassel), qui n’a pas attendu d’avoir 20 ans pour suivre le chemin de ses illustres parents. Un jour, c’est Kim Higelin, actrice dans Le Consentement, qui assure au Parisien qu’on ne lui a jamais facilité ou complexifié les choses en raison de son nom. Un autre, c’est Victor Belmondo qui répond poliment sur le plateau de « Télématin » qu’il ne sait pas trop si son nom l’a aidé ou desservi, invitant la journaliste à demander « à ceux qui décident ».
Il y a sans doute une sincérité derrière leur difficulté à parler de leur position, et cette retenue finit parfois par agacer. Mais, après tout, comment leur reprocher de marcher à tâtons sur un terrain aussi glissant ? « Ils sont souvent assez jeunes et on les surexploite médiatiquement », fait remarquer la directrice de casting Judith Chalier (Le Roman de Jim, Les Pires, Grave), qui a notamment travaillé sur La Vie d’Adèle, dont la distribution jouait précisément sur la lutte des classes avec, d’une part, la nouvelle venue Adèle Exarchopoulos et de l’autre Léa Seydoux, la petite-fille de Jérôme Seydoux, président de Pathé. Cela dit, les discours évoluent, à l’image de Raïka Hazanavicius (Une amitié dangereuse, sur France 2), lors de son passage sur « C à vous », le 13 juin : « Quand on a un privilège, il faut aussi savoir se réveiller dessus. C’est un peu la force de notre époque où on demande à tout le monde de reconnaître son privilège, donc je ne vois pas pourquoi, nous, on ne devrait pas le faire. »
Cette prise de conscience est d’autant plus nécessaire que les faveurs accordées aux nepo du cinéma, des défilés de mode et de la musique incarnent une vérité embarrassante. Ces milieux, si prompts dans leurs discours à donner des leçons d’inclusivité et de représentativité, ont leur angle mort et donnent l’impression de tourner en rond autour de la même tablée. Dans son reflet : la société inégalitaire. Un constat que vient appuyer une note de la Fondation Jean Jaurès, publiée en novembre 2024 : « La fortune héritée représente désormais 60 % du patrimoine total, contre 35 % en moyenne au début des années 1970. Or le patrimoine hérité reste très concentré. »
Partout, la reproduction sociale est forte. « J’ai lu encore ce matin dans Les Echos que les entreprises familiales représentaient 83 % des entreprises françaises », enchérit le directeur de casting David Bertrand (Le Répondeur, Monsieur Aznavour, Mon crime). A ceci près qu’à une époque où la promotion compte plus que tout et où l’art de se vendre prime, un patronyme célèbre est devenu une devise, une accroche, « une marque », admet-il. C’est ce qu’Aurore Gorius et Anne-Noémie Dorion ont baptisé « le business du nom ». Et ce mécanisme dépasse largement le monde du cinéma : en politique, dans les médias, l’héritage patronymique agit comme un puissant accélérateur de carrière.
« La vraie problématique est marketing et médiatique »
Prenons Louis Sarkozy, 28 ans. Après avoir lancé une collection de mocassins à picots et suivi de coûteuses études à Washington et à New York, il publie un essai, Napoléon Bonaparte. L’Empire des livres (Passés composés, 320 pages, 22 euros), avant d’être propulsé « spécialiste des Etats-Unis » sur LCI – chaîne appartenant à son parrain, Martin Bouygues.
Même logique et sérieux un peu solennel pour Benjamin Duhamel, 30 ans, fils de Patrice Duhamel, ancien directeur de France Télévisions et de Nathalie Saint-Cricq, qui a dirigé le service politique de France 2 : après quelques années sur BFM-TV, il récupère l’interview politique de 7 h 50 sur France Inter. Dans ce jeu de chaises musicales ultramédiatisé, le capital d’origine ne garantit pas le talent, mais il donne un coup de pouce pour se faire une place.
Les producteurs l’ont bien compris : quand la star n’est pas disponible, miser sur sa descendance reste une valeur sûre. Un film avec un « fils de » ou une « fille de », c’est l’assurance d’un bon relais dans la presse, d’une couverture mère-fille ou père-fils, et d’un passage quasiment garanti sur le plateau de « Quotidien », sur TMC. Ce capital de naissance ne profite d’ailleurs pas qu’aux enfants : « Le jour où j’ai mentionné qu’une de mes actrices était “la mère de”, raconte une agente artistique (qui a souhaité garder l’anonymat), elle a enfin commencé à passer des auditions. » Hériter de la lumière, c’est aussi en faire profiter ceux qui vous l’ont donnée.
« Dans un marché hyperconcurrentiel, le cinéma pense de plus en plus comme les plateformes. On sent une volonté forte de créer un événement par le casting, même pour les films d’auteur, dépeint David Bertrand. Qu’importe si c’est la cousine ou le neveu, le nom intrigue assez pour qu’ensuite une interview lui soit proposée. Et pour peu qu’un visage d’enfant transfigure celui de deux icônes du cinéma français et italien… La relation de plus en plus étroite entre les marques de luxe et le cinéma ne fait que radicaliser le phénomène. » Sur le modèle américain, nos plus grands acteurs et « enfants de » ont un agent d’image chargé de les mettre en relation avec les marques et d’assurer leur promotion respective. « La vraie problématique est marketing et médiatique », résume Judith Chalier.
« Certains sont très justes et méritent leur place »
Bien sûr, tous les « enfants de » ne sont pas dépourvus de talent, loin de là. Certains possèdent même ce petit supplément d’âme – ou d’aisance – qui les distingue du commun des mortels. Mais dans un pays où le Cours Florent forme 800 élèves par an et où des centaines d’autres écoles façonnent les acteurs de demain, la probabilité que tant de têtes d’affiche soient issues de familles déjà en vue pose question. Alors que les directeurs de casting sont contraints pour des questions de budget de limiter le nombre d’essais par projet, la concentration des occasions dans les mains de quelques privilégiés se renforce. « Les Schneider, c’est la queue leu leu, on ne sait plus lequel est lequel, plaisante un agent. Mes acteurs, ils n’ont même pas passé le casting pour Monte-Cristo », regrette-t-il.
« Je n’ai rien contre les “fils et filles de”, certains sont très justes et méritent leur place. Mais il est vrai que quand on est l’enfant d’un acteur “bankable”, on a tout de suite un agent, et pas des moindres. On va chez Adéquat ou UBBA, qui représentent déjà tous les noms du cinéma français. On ne peut pas dire qu’il y ait beaucoup d’enfants de star qui tentent le Conservatoire, car ils n’en ont pas besoin pour démarrer, analyse Okinawa Guérard, directrice de casting (La Voie royale, L’Etabli, Chez nous…), présidente de l’Association des responsables de distribution artistique. De manière plus générale, aujourd’hui, ce qui compte pour les films et les séries, surtout sur les plateformes, c’est la capacité à exister médiatiquement, la presse, les plateaux télé, Instagram… Les réseaux, c’est devenu central. C’est un frein artistique à la possibilité de faire émerger de nouveaux talents. »
Pourtant, des outsiders réussissent à tirer leur épingle du jeu : Mallory Wanecque, Maïwène Barthèlemy, Idir Azougli, repérés lors de castings sauvages. Leur destin tient du miracle. « Le cinéma français produit quand même beaucoup de choses… des ascensions incroyables ! », rappelle Judith Chalier. « C’est vrai qu’entre ces jeunes gens et les “enfants de”, il y a un petit vide. Je pense que ceux qui rament le plus pour accéder à des rôles principaux dans des films ou des séries sont les acteurs de théâtre », estime Okinawa Guérard. Comme ses collègues, elle a à cœur de caster « le bon acteur au bon endroit », quelle que soit son origine sociale.
Face au succès récent de Vingt dieux (2024), de Louise Courvoisier, tourné avec des anonymes, on peut se demander si la présence d’un nom connu remplit les salles. Selon Stéphane Hochberg, le directeur de Do the Right Films, une société qui propose des études de marché et de projections tests pour accompagner le marketing et la distribution de films et séries, « ce n’est pas tant la renommée d’un acteur qui attire les spectateurs. Sa célébrité sert surtout de garantie, c’est une forme de sécurité qui rassure sur la qualité du spectacle et l’assurance d’en avoir pour son argent ». Ajouté à cela, un nom connu de tous a l’avantage de pouvoir toucher plusieurs générations de spectateurs, celle qui aimait le grand-père, celle qui aime le père et celle qui aimera le fils.
Pour autant, la voie n’est pas toujours tracée pour les nepo babies. Car les « enfants de » ne sont pas seulement privilégiés… ils sont aussi de plus en plus nombreux. A mesure que leur présence s’intensifie, ils deviennent rivaux. Et dans ce jeu-là, le nom ne suffit plus : il faut se distinguer… même parmi les héritiers. Et puis, une question revient sans cesse, en sourdine ou en pleine lumière : comment savoir si l’on m’aime vraiment, quand mes parents attirent déjà toute l’attention ? Alors que les inconnus cherchent à se faire un nom, les « enfants de » doivent résoudre cette équation complexe consistant à tracer leur propre route, tout en marchant en partie dans les pas de quelqu’un d’autre.
« Je ne voulais pas être choisie pour de mauvaises raisons » ; « Je veux prouver que je ne suis pas qu’un membre de cette famille » ; « Je suis obsédée par les diplômes, parce que j’adore pouvoir montrer que j’ai gagné ma place », lit-on dans la presse et sur les réseaux. Suzanne Lindon s’est écrit un rôle dans le long-métrage qu’elle a réalisé, Seize printemps, sélectionné au Festival de Cannes en 2020 : « Il fallait convaincre que je ne devais rien à mes parents, et faire quelque chose qu’ils n’ont jamais fait. Donc, un film ! », répondait l’ex-égerie de la maison Celine au Monde en 2021. Au fond, le vrai talent des nepo, c’est aussi de nous faire oublier qu’ils n’ont jamais eu à pousser la porte : elle était déjà ouverte.
En 2022, la diffusion du terme « nepo baby » a fait grincer les dents – « Ça n’a aucun sens », a répliqué l’une d’entre elles. Depuis, des « enfants de » ont embrassé le problème et joué avec les clichés. Jack Robbins, fils de Susan Sarandon et Tim Robbins, se parodie sur Instagram : « Chaque matin, j’aime me réveiller et vendre une série à HBO ou Netflix selon mon humeur. Aujourd’hui, je propose une série télé à laquelle j’ai pensé hier, qui ressemble à Star Wars. » Romy Mars, 18 ans, fille de Thomas Mars, le chanteur du groupe Phoenix, et de Sofia Coppola, cinéaste du spleen adolescent (et fille de Francis), vient de sortir le titre A-Lister dans lequel elle assume sa position et chante le mal-être des « filles de » : « Je recréerai des scènes de Titanic sur un yacht à pont volant/Juste pour sentir quelque chose de réel. » Le clip est réalisé par sa mère.
D’autres, au contraire, se lancent dans une révolte générationnelle : Shiloh Jolie efface Pitt de son nom, Suri Cruise devient Suri Noelle. C’est la vague du « nope baby ». En français, c’est « nan ». Bref, il semble exister une sorte de spleen propre aux nepo.
[Source: Le Monde]