« Ils avaient quoi, les Vikings, comme godasses ? » : la passion inépuisable du Moyen Age chez les jeunes

Spectacles, déambulations, sites spécialisés, associations de passionnés : le Moyen Age connaît un fort engouement auprès du grand public, notamment chez les jeunes, qui ont baigné dans les fictions le mettant en scène.

Juil 19, 2025 - 09:22
« Ils avaient quoi, les Vikings, comme godasses ? » : la passion inépuisable du Moyen Age chez les jeunes
VASSILI FEODOROFF POUR « LE MONDE »

Agglutinés dans le renfoncement d’une agence bancaire, Benjamin Couvert, Louna Dumas et Alexandre Duberson essaient d’échapper aux rayons de soleil de cette lourde fin d’après-midi. La grande parade, qui marque traditionnellement, au début de l’été, le coup d’envoi des Médiévales de Bayeux (Calvados), ne démarre que dans trente minutes, mais la petite troupe transpire déjà à grosses gouttes dans ses costumes hétéroclites.

En montrant son bouclier, son heaume métallique et son épée, Benjamin Couvert, 27 ans et une grosse barbe rousse qui sied parfaitement au thème, rigole : « Heureusement qu’on n’a pas en plus droit à l’orage, sinon il aurait fallu passer tout cela à l’huile lubrifiante antirouille. » « En même temps, ils n’en avaient pas, eux, à l’époque… Comment ils faisaient ? », le questionne en souriant son homologue viking, Alexandre Duberson, 26 ans, peau de bête sur les épaules, tunique et chaudes molletières nordiques aux jambes.

Les deux amis, qui se sont rencontrés sur les bancs de la fac de sciences humaines de Caen et travaillent tous deux dans l’audiovisuel, se pencheront peut-être plus tard sur cette petite énigme historique. Pour l’heure, il leur faut rejoindre le cortège, accompagnés des autres personnages de l’association The Black’s Creed (« Les croyances noires »), qui réunit des passionnés d’histoire médiévale et fantastique : des femmes vikings, mais aussi une « dragonnière » (personnage qui élève ou chevauche un dragon), une sirène, trois « chevaliers du temps », ou encore un démon de l’océan…

Benjamin Couvert, en tenue de viking, lors des Médiévales de Bayeux (Calvados), le 27 juin 2025.

Les costumes empruntent autant à l’univers médiéval qu’à la fantasy (genre littéraire qui mêle dans son récit des éléments surnaturels et imaginaires), à l’image des 500 participants de la parade qui s’élancent maintenant en direction de l’hôtel de ville de Bayeux, sous l’œil pétillant des milliers de personnes amassées sur les trottoirs. Parmi les associations, compagnies d’artistes et habitants costumés, on trouve pêle-mêle des templiers, des saltimbanques ou nobles en habits d’époque, des créatures d’Atlantis, des personnages de jeux vidéo type Assassin’s Creed… Artisans d’art médiéval et reconstitutions historiques plus réalistes ont complété le tableau pendant le week-end du 27 au 29 juin.

Un Moyen Age fantasmé

Autrement dit : ici comme dans les centaines de fêtes et animations sur le thème du Moyen Age, qui se sont multipliées en France depuis les années 2000 (il y avait plus de 500 manifestations de ce type en 2023, selon le site Medieval-online qui les répertorie), le Moyen Age est composite, et souvent fantasmé. Et c’est sans doute ce qui fait son succès populaire, notamment auprès des jeunes, au grand satisfecit des organisateurs de ces événements. « Si on veut continuer à faire vivre notre riche patrimoine médiéval, il ne faut pas avoir peur de regarder vers l’avenir et s’ouvrir à ce que nous apportent les jeunes générations », commente Adeline Flambard, directrice culturelle à la mairie de Bayeux, à la tête de ces Médiévales qui fêteront leurs 40 ans en 2027.

Noam Picot, en noir, sur ses échasses, avec des membres de l'association The Black's Creed, lors des fêtes médiévales de Bayeux (Calvados), le 27 juin 2025.

« Certains participants ont le statut d’artiste, nous, on a le statut de passionnés », plaisante du haut de ses échasses l’un de ces jeunes adultes, Noam Picot, 27 ans, cofondateur de l’association The Black’s Creed. Originaire de Bayeux, il arborait déjà, à 4 ans, « un petit costume de Viking » dans sa poussette pour accompagner ses parents à ce même événement dont il n’a raté presque aucune édition. A chaque fois déguisé ? « Oui, toujours costumé », corrige-t-il sans se vexer. La création de l’association, en 2020, avec son frère et un ami, lui a permis de « passer à la vitesse supérieure », en embarquant famille, collègues et potes dans son « trip », comme il dit.

Aujourd’hui la vingtaine de membres, en majorité des jeunes de moins de 30 ans comme Noam Picot, Benjamin Couvert ou Alexandre Duberson, participent à « cinq ou six » événements médiévaux par an. « On trouve plaisir à se retrouver régulièrement pour fabriquer tous nos costumes et décors avec nos petites mains. Mais, surtout, on déconnecte du quotidien en se plongeant dans un univers médiéval qui est extrêmement riche et invite à la créativité », explique Noam Picot, administrateur d’infrastructures informatiques dans la vraie vie.

Période « cool » sur les réseaux sociaux

Pourquoi cette période de l’histoire et pas une autre ? Parce que de la chute de l’Empire romain à la découverte des Amériques, en passant par les chevaliers, les Vikings, les cathédrales ou les croisades, « le Moyen Age, c’est près de mille ans d’une histoire très diverse où l’on peut puiser ce qu’on veut en termes d’imaginaire, de personnages et d’ambiances », commente l’historien médiéviste Florian Besson. Une période que tout un chacun peut en outre avoir l’impression de connaître, grâce au patrimoine médiéval important en France. Mais surtout « en raison de l’omniprésence de cette période dans la littérature, la fiction et la culture populaire ».

Antoine Le Moal (à droite), membre fondateur du clan de reconstitution viking Garewal, avec l’un de ses membres, à la fin de la parade des Médiévales de Bayeux (Calvados), le 27 juin 2025.
Lors de la parade des Médiévales de Bayeux (Calvados), le 27 juin 2025.

« Entre diabolisation et fascination, c’est sans doute la période qui a été la plus réinventée, et ce dès la fin même du Moyen Age », confirme Justine Breton, maîtresse de conférences en médiévalisme (l’étude des représentations postmédiévales du Moyen Age) à l’université de Lorraine. Après être notamment passé sous le filtre des Lumières aux XVIIe siècle et XVIIIe siècles, puis des romantiques du XIXe, l’image du Moyen Age dans la culture populaire a été bouleversée par l’essor de la fantasy au XXe siècle.

On doit à des auteurs comme Tolkien (Le Seigneur des anneaux) ou C. S. Lewis (Les Chroniques de Narnia), tous deux passionnés d’histoire médiévale, le foisonnement de trolls, d’elfes ou de dragons qui peuplent les événements médiévaux.

Mais, selon Justine Breton, les adultes qui ont 30 ans aujourd’hui « ont surtout grandi avec une extraordinaire production depuis les années 2000 : Le Seigneur des anneaux en film, Harry Potter, Kaamelott, Game of Thrones, la série Vikings, etc. ». De quoi, selon elle, élargir le public des jeunes amateurs de Moyen Age, limité auparavant aux lecteurs de fantasy et fans de jeux de rôle. De quoi, aussi, rendre désormais « cool » cette période historique sur les réseaux sociaux, en musique (avec l’avènement du bardcore, qui consiste à reprendre des tubes au luth ou à la harpe) ou encore dans la mode (le « château-core », mode inspirée par l’époque médiévale, serait une tendance 2025…).

Dans les rues de Bayeux, les jeunes rencontrés confirment cette forte influence de la littérature et du cinéma. Mais ilsexpliquent autrement leur attirance. « Si c’était la Renaissance, je devrais me trimballer en robe, pas bouger ! Là, je suis une guerrière viking, comme il y en avait à l’époque, ça ressemble beaucoup plus à l’idée que je me fais de la femme », commente Tatiana Peretel, agente immobilière de 29 ans. Pour cette Normande passionnée de mythologie scandinave, il s’agit aussi de « se réapproprier un peu de [son] histoire ». Elle raconte cela en décryptant plusieurs runes vikings tatouées sur son corps, des « symboles bien réfléchis, plutôt sympas et positifs », précise-t-elle, bien au courant de la réutilisation de ce type de symbole par une mouvance « identitaire » très éloignée de sa démarche.
Svetlana (à gauche) et Tatiana Peretel (à droite), en tenue viking. Elles sont sœurs et participent chaque année aux Médiévales de Bayeux (Calvados), le 27 juin 2025.

Plusieurs jeunes interrogés racontent aussi être de grands amateurs de cosplay (loisir consistant à se vêtir comme un personnage de fiction) ou de jeux de rôle (JDR) prenant souvent comme décor la période médiévale. « Comme dans les JDR, j’aime le côté immersion de ces événements. Ça m’inspire pour animer de futures parties, mieux décrire des personnages, des lieux, etc. », raconte ainsi Théo André, 22 ans, venu de Caen pour l’occasion.

Son ami, Titouan Bride, 21 ans, associe depuis toujours le Moyen Age à « quelque chose de très ludique ». Il faut dire qu’il est membre d’une association qui organise des jeux de rôle médiévaux grandeur nature et des matchs de« trollball », discipline qui mélange rugby et escrime, pratiquée dans le milieu médiéval fantastique. Le jeune homme assume avoir un costume de Viking « où y a rien qui va historiquement » et assure qu’il va s’améliorer.

Partage et découvertes

A quelques mètres de là, Antoine Le Moal, 37 ans, est en train de préparer le campement viking où il va vivre et recevoir du public tout le week-end. En 2011, à peu près aux mêmes âges que Théo André et Titouan Bride, il cofondait l’association de reconstitution historique Garewal. « On a commencé comme ça, comme des grands gamins, à se mettre un peu tout ce qu’on trouvait sur le dos, raconte cet artiste-auteur dans la vraie vie. Et puis, petit à petit, on se demande : “Tiens, ils avaient quoi précisément les Vikings comme godasses ? Comment ils faisaient pour s’abriter de la pluie ?” On pousse le truc de plus en plus loin, et on fait de la reconstitution… »

Détail de la tenue de Titouan Bride, avec sa corne à boire qu’il utilise dans les différents bars de la ville, lors des fêtes médiévales de Bayeux (Calvados), le 27 juin 2025.
Détail de l’habit de Paul, qui est une tenue historique inspirée des Vikings normands, à Bayeux (Calvados), le 27 juin 2025.

La moyenne d’âge chez les reconstituteurs serait autour de 32 ans, selon différents travaux sur le sujet. Des passionnés de la période médiévale plus tatillons, n’hésitant parfois pas à brocarder les petits nouveaux dans ce type de rendez-vous. Sur les forums spécialisés, les noms d’oiseaux fusent parfois : « Playmobil ! », disent les uns, « Histonazis ! »,répondent les autres.

Josquin Flucher, jeune président du Clan du Vestfold, une autre association de reconstitution viking présente sur place, regarde ces débats avec distance et bienveillance. Ce fils d’archéologues de 32 ans voit avant tout sa passion pour le médiéval et la reconstitution comme « une expérience humaine où on partage surtout avec d’autres personnes des aventures – expéditions ou combats médiévaux –, des connaissances et des découvertes, des moments de vie, des soirées au coin du feu… », bref, « des moments de déconnexion totale, hors du temps, loin de son téléphone portable et du rythme effréné de la vie normale ». Le Moyen Age comme « un bac à sable géant », selon les mots de la chercheuseJustine Breton, un espace de créativité inépuisable pour des grands enfants qui viennent aussi parfois s’y reposer.

[Source: Le Monde]