Tadej Pogacar entre suprématie pesante et tactique étrange

Le champion du monde a pris, vendredi, la 3ᵉ place de la 19ᵉ étape du Tour de France 2025, entre Albertville et La Plagne, remportée par le Néerlandais Thymen Arensman. L’attitude en course du Slovène depuis plusieurs jours intrigue.

Juil 26, 2025 - 06:24
Tadej Pogacar entre suprématie pesante et tactique étrange
Tadej Pogacar, dans la montée finale vers La Plagne (Savoie), lors de la 19ᵉ étape du Tour de France, le 25 juillet 2025. MARCO BERTORELLO / AFP

Deux semaines durant, Tadej Pogacar avait déroulé sa supériorité, comme s’il écrivait seul le scénario d’un Tour de France 2025 déjà plié. Puis, sans avertir, le récit s’est dérobé sous nos yeux : le panache s’est mué en flou, la clarté en énigme, et le maillot jaune, jusqu’alors si lisible, est devenu le premier mystère d’une épreuve qui ne semble plus tout à fait savoir ce qu’elle raconte. Le champion du monde a pris la 3ᵉ place de la 19ᵉ étape entre Albertville et La Plagne, en Savoie, remportée par le Néerlandais Thymen Arensman (Ineos Grenadiers), vendredi 25 juillet.

« C’était très bizarre, reconnaît Zak Dempster, directeur sportif de l’équipe britannique du vainqueur de l’étape du jour. L’écart n’était pas si élevé entre les favoris et Thymen Arensman. Mais on s’est mis à croire à la victoire petit à petit. » Au départ de cette dernière journée en haute montagne et à deux jours de l’arrivée sur les Champs-Elysées, à Paris, Tadej Pogacar faisait figure d’ultrafavori. Pendant les 93,1 kilomètres de course – l’étape a été raccourcie en raison d’un abattage de bovins –, son équipe, UAE Team Emirates-XRG, a gardé sous contrôle les différentes tentatives d’échappées.

Mais, à 12,9 kilomètres de l’arrivée, Thymen Arensman a attaqué, laissant sans réaction le Slovène. « Arensman allait trop vite pour le rythme avec lequel j’étais à l’aise », a étrangement expliqué Tadej Pogacar après la course, lui qui semblait en mesure de laisser tout le peloton sur place à la moindre accélération, il y a quelques jours encore. Dans un final marqué par la pluie, de nombreux spectateurs attendaient un nouvel assaut dévastateur du maillot jaune. « Quand est-ce qu’il plie l’étape ? Les kilomètres commencent à défiler… », nous interroge, inquiet, un spectateur néerlandais, placé à 2 kilomètres de l’arrivée.

« Je suis juste un humain, mais je viens de les battre »

L’envol de Pogacar était promis, attendu, presque écrit, mais il n’est jamais venu. Jonas Vingegaard, relégué à plus de quatre minutes au général, a lui aussi essayé de reprendre le Néerlandais, auteur d’une excellente montée, mais son attaque, à 300 mètres de l’arrivée, fut beaucoup trop tardive – encore une étrangeté. « C’est Tadej et Jonas. Tout le monde sait que ce sont les meilleurs du monde, presque des extraterrestres. Moi je suis juste un humain, mais je viens de les battre, c’est juste fou », a réagi, surpris, Thymen Arensman, déjà vainqueur de la 14ᵉ étape à Luchon-Superbagnères (Haute-Garonne).

Sur le bord des routes, entre deux applaudissements polis des spectateurs, affleure une fatigue sourde : la domination trop nette du maillot jaune transforme l’attente en formalité et le suspense en vieux souvenir. Près des bus des équipes, au sortir de cette 19ᵉ étape, un directeur sportif qui préfère rester anonyme confie : « Pogacar voulait peut-être calmer le jeu, laisser Vingegaard gagner pour le satisfaire et montrer qu’il partage… ». Un homologue de XDS-Astana, Alexandr Shefer, avoue que « tout le monde s’attendait à une accélération et plus de spectacle, surtout après ce qu’il s’est passé hier ».

Le 24 juillet, lors de la 18ᵉ étape, entre Vif (Isère) et le col de la Loze (Savoie), finalement remportée de manière inattendue par l’Australien Ben O’Connor (Jayco-AlUla), le triple lauréat du Tour (2020, 2021 et 2024) s’était contenté d’attaquer à 400 mètres de l’arrivée, pour reprendre quelques secondes sur son rival, Jonas Vingegaard (Visma-Lease a Bike). Pour justifier l’étonnant attentisme de son leader, Mauro Gianetti, patron de UAE Team-Emirates XRG, avançait que c’était à Jonas Vingegaard et sa formation de prendre une initiative. « Ils ont perdu une occasion » de remporter une première victoire d’étape sur ce Tour de France, a estimé le Suisse.

L’oreillette du Slovène ne fonctionnait pas

« Je n’ai pas souvenir que Pogacar laisse souvent des victoires lui échapper. Je crois qu’il a retenu les leçons depuis le début de sa carrière », analyse Zak Dempster, admiratif du Slovène de 26 ans. Vainqueur de neuf monuments – les courses cyclistes d’un jour les plus prestigieuses –, dont le Tour des Flandres et Liège-Bastogne-Liège en avril, le « Cannibale » a ajouté le Tour d’Italie à son palmarès en 2024. Il vise également un premier succès sur le Tour d’Espagne, à partir du 23 août – seuls sept coureurs ont remporté les trois Grands Tours au cours de leur carrière.

Pour expliquer ce potentiel désintérêt pour la victoire d’étape vendredi, Joxean Fernandez Matxin, directeur sportif de UAE Team Emirates-XRG, nous a livré une explication : l’oreillette de Tadej Pogacar ne fonctionnait pas. Le coureur n’a donc pas pu échanger avec ses stratèges dans la montée finale. De quoi lui couper les ailes ?

Mauro Gianetti avance aussi que les équipiers des deux coureurs les mieux placés au classement général sont éreintés par un Tour de France 2025 qui n’a pas épargné les organismes. « C’était une guerre des nerfs. Tadej Pogacar a pris ses responsabilités pour revenir sur la tête de course. Avant le départ de l’étape, il avait envie de gagner », a-t-il ajouté. Selon lui, Jonas Vingegaard et son équipe se sont à nouveau trompés de partition ce vendredi.

« Je pensais que Jonas Vingegaard voulait aussi gagner l’étape, mais il voulait juste rester dans mes roues. Je suis content, il ne reste plus que deux jours avant l’arrivée », a commenté le Slovène après la course. L’étape lui a échappé, mais Tadej Pogacar ne vise plus qu’une chose : un quatrième maillot jaune à Paris, dimanche en fin de journée.

[Source: Le Monde]