La pomme de terre a pour ancêtre… la tomate, révèle une nouvelle étude
Une équipe internationale a publié, le 31 juillet, dans la revue de biologie « Cell », une surprenante découverte : l’apparition de tubercules chez l’ancêtre de la pomme de terre, il y a 9 millions d’années, est née d’une hybridation avec un pied de tomate sauvage.

Elle fait partie de notre quotidien depuis des générations, mais conserve beaucoup de secrets. La pomme de terre, dont les preuves de consommation par les humains remontent à 10 000 ans en Amérique du Sud, alimente encore des controverses sur les conditions de son apparition et de sa domestication. Aussi, la découverte d’une équipe internationale de chercheurs, publiée le 31 juillet dans la revue américaine de biologie Cell, apporte une pièce importante, et étonnante, au puzzle de son histoire : la pomme de terre descend de la tomate !
Biologistes, généticiens, informaticiens et statisticiens se sont associés dans cette vaste étude pour remonter le temps et tenter de dessiner l’arbre phylogénétique des espèces de pomme de terre cultivées. Mais l’équipe s’est particulièrement intéressée à Petota, une lignée de plantes sauvages à tubercules à laquelle la pomme de terre est apparentée. Elle fait partie de la grande famille des solanacées, à laquelle appartiennent les pommes de terre et les tomates.
« Les pommes de terre cultivées, bien que précieuses, sont génétiquement uniformes en raison de la sélection artificielle. Nous avons donc choisi une plante sauvage pour notre étude, car elle offre un patrimoine génétique plus diversifié et nous permet d’observer les processus évolutifs naturels sans l’influence de la sélection par l’homme », se justifie Zhiyang Zhang, chercheur à l’Institut de génomique agricole de Shenzhen (Académie chinoise des sciences agricoles), premier signataire de l’étude.
L’analyse du génome de 128 spécimens de Petota prélevés sur ses biotopes naturels sur le continent américain a permis de révéler qu’elle est « d’origine hybride ancienne, tous ses membres présentant une ascendance génomique mixte stable, dérivée des lignées etuberosum et tomates il y a environ 8 à 9 millions d’années », écrivent les chercheurs dans leur article.
Un événement rare
Etuberosum, présente dans le sud du Chili, a des feuilles qui ressemblent à celles des pommes de terre et des organes souterrains capables de repousser. Mais il s’agit de rhizomes, des tiges souterraines, pas de tubercules. La tomate, qui n’est plus à présenter, compte une quinzaine d’espèces sauvages, exclusivement visibles en Amérique du Sud et en Amérique centrale.
Ces deux familles, qui avaient divergé il y a un peu plus de 13 millions d’années, se sont donc croisées, naturellement, quelques millions d’années plus tard. Un événement rare. « Dans tous les groupes végétaux, plus la divergence est ancienne entre deux espèces, plus c’est difficile d’obtenir un hybride. Et de surcroît un hybride fertile », observe Marc-André Selosse, professeur au Muséum national d’histoire naturelle.
Mais, reconnaît aujourd’hui Zhiyang Zhang, « la découverte la plus surprenante de nos travaux est que l’hybridation entre deux espèces et les gènes, hérités de manière alternée et très divergents, ont produit des caractéristiques inattendues et innovantes dans les tubercules, qui ne sont pas présentes chez les espèces parentales ». L’étude montre que les tubercules de Petota ne doivent leur existence qu’à la combinaison d’allèles (versions d’un gène), l’un provenant de etuberosum et l’autre de la tomate, deux parents incapables de produire des tubercules.
Cette plante hybride, née il y a 9 millions d’années, a connu un succès manifestement fulgurant pour deux raisons, avancent les auteurs. D’abord, le phénomène de l’hybridation démultiplie les possibilités de diversification génétique grâce à la combinaison et la recombinaison des allèles hérités des deux parents.
De plus, cette innovation qu’a été le tubercule a facilité l’adaptation de la plante aux nouvelles conditions climatiques provoquées par le soulèvement tectonique rapide des Andes à cette époque. Ces parties de la plante stockent l’eau et les glucides à l’abri sous terre et servent d’organes nutritionnels et reproducteurs. Le résultat a été « une diversification explosive des espèces adaptatives de Petota en permettant l’occupation de niches écologiques plus larges », lit-on dans le papier de Cell. Aujourd’hui, Petota compte 107 espèces sauvages dans une grande variété d’espaces sur le continent américain.
« Ça fait longtemps qu’on dit que pomme de terre et tomate sont des plantes assez proches, mais de là à dire que l’une découle de l’autre, ce n’est pas du tout pareil. Ce maillon essentiel manquait à nos connaissances », commente Jean-Eric Chauvin, ingénieur de recherche à l’Institut de génétique, environnement et protection des plantes (Inrae, université de Rennes).
« Des moteurs puissants de l’évolution »
Au-delà de la découverte apportée par cette recherche, l’une de ses contributrices, Sandra Knapp, chercheuse en botanique au Muséum d’histoire naturelle de Londres, souligne qu’elle montre que « ces hybridations anciennes, par opposition à celles qui se produisent plus récemment, sont plus courantes que nous le pensions et, surtout, constituent des moteurs puissants de l’évolution ».
Le travail de ces chercheurs, en particulier de l’équipe chinoise, n’est pas terminé, puisque l’objectif était d’améliorer la sélection des pommes de terre cultivées. Sanwen Huang, membre de l’Académie chinoise des sciences et professeur à l’Institut de génomique agricole de Shenzhen, qui a coordonné l’étude, précise travailler par ailleurs « sur la conception génomique d’une pomme de terre hybride reproduite par semence. Elle présente de nombreux avantages par rapport à la pomme de terre conventionnelle. Elle évite les problèmes liés au stockage et au transport des tubercules et permet une reproduction rapide et itérative ». L’idée est d’éliminer ainsi les mutations délétères du génome de la pomme de terre. Ce qui n’est pas gagné, car elles sont très nombreuses.
Mais cette étude leur ouvre de nouvelles perspectives pour créer cette pomme de terre exempte de mutations délétères… en utilisant la tomate comme « châssis » de biologie synthétique. La tomate, dont le génome, fort de 35 000 gènes, a été entièrement séquencé en 2012, est quasiment exempte de mutations délétères.
[Source: Le Monde]