La rentrée sous haute tension de la diplomatie française : Ukraine, Palestine ou relations avec les Etats-Unis

En cinq jours, le Quai d’Orsay a convoqué coup sur coup les ambassadeurs des Etats-Unis et de l’Italie, afin de protester contre la remise en question de projets portés sur la scène internationale par Emmanuel Macron.

Août 29, 2025 - 01:38
La rentrée sous haute tension de la diplomatie française : Ukraine, Palestine ou relations avec les Etats-Unis
Le président Emmanuel Macron lors de sa rencontre avec le président ukrainien à la Maison Blanche, à Washington, le 18 août 2025. AFP/SERVICE DE PRESSE PRÉSIDENTIEL UKRAINIEN

Tandis que le président de la République, Emmanuel Macron, se veut aux avant-postes pour peser sur les deux principaux conflits du moment, l’Ukraine et la guerre à Gaza, les relations se crispent avec de vieux alliés de la France, les Etats-Unis et l’Italie. En cinq jours, le Quai d’Orsay a convoqué coup sur coup les ambassadeurs de ces deux pays en guise de protestation contre la remise en question de projets portés par le chef de l’Etat, parfois contre l’avis de ces partenaires de longue date, désormais dirigés par des gouvernements aux positions idéologiques, voire géopolitiques, souvent aux antipodes des siennes. Pour la diplomatie française, c’est une rentrée sous haute tension.

Les frictions portent sur deux projets emblématiques. D’abord, la volonté des autorités françaises de reconnaître, contre l’avis d’Israël et de Washington, l’Etat de Palestine lors de la prochaine Assemblée générale des Nations unies, en septembre, à New York. Lundi 25 août dans l’après-midi, l’ambassadeur des Etats-Unis à Paris, Charles Kushner, auteur la veille d’un courrier accusant cette initiative de nourrir la montée de l’antisémitisme, s’est fait représenter au Quai d’Orsay par son chargé d’affaires. Ce dernier a été reçu par deux hautes fonctionnaires.

« ⁠Il lui a été indiqué que la lettre de l’ambassadeur n’était acceptable ni sur la forme ni sur le fond : les critiques émises constituaient une ingérence dans les affaires intérieures de notre pays et dressaient un constat qui ne correspondait pas à la réalité de la mobilisation résolue de la France dans la lutte contre le fléau de l’antisémitisme », a indiqué une source diplomatique à l’issue de l’entretien. Les officiels se sont dits prêts à travailler avec M. Kushner contre l’antisémitisme « à la condition que nos échanges s’inscrivent dans un climat de confiance et un esprit constructif comme nous l’espérions de la part des Etats-Unis ».

Autre sujet sensible, le déploiement de troupes européennes en Ukraine, censé dissuader le Kremlin de lancer de nouvelles offensives, en cas de cessation des hostilités – une hypothèse au cœur des discussions en cours entre les soutiens de Kiev face à la Russie, mais dénoncée par le vice-président du conseil italien, Matteo Salvini (Ligue, extrême droite). Cet allié de la première ministre, Giorgia Meloni, avait ironisé, le 20 août, contre une telle perspective. « Vas-y toi, si tu veux. Tu mets le casque, le gilet pare-balles, le fusil et tu pars », avait-il lancé à l’intention du président français, après l’avoir déjà traité de « fou » en mars.

Le lendemain, l’ambassadrice italienne, Emanuela D’Alessandro, était convoquée au Quai d’Orsay pour un entretien qualifié de « franc » avec le directeur chargé de l’Europe, ce qui n’a pas empêché M. Salvini, lui-même admirateur du président russe, Vladimir Poutine, avant l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par Moscou, de répéter ses propos presque mot pour mot samedi.

Echanges acrimonieux

Ces épisodes donnent une idée de l’âpreté des débats au sein du camp occidental, dont la cohésion est mise à mal. « Les deux cas sont différents, mais leur point commun est qu’ils touchent aux éléments les plus sensibles de la politique étrangère française du moment », dit Thomas Gomart, le directeur de l’Institut français des relations internationales.

Pour lui, « Matteo Salvini n’en est pas à son coup d’essai, et l’idée des autorités françaises est de contrer très vite son discours, après que Giorgia Meloni a fait le voyage de Washington, le 18 août, avec d’autres dirigeants européens, aux côtés de Volodymyr Zelensky et d’Emmanuel Macron, dans un moment d’unité fragile, mais essentielle pour le Vieux Continent ».

Le cas Kushner est d’une autre nature, selon M. Gomart, alors que ce proche de Donald Trump, beau-père de sa fille Ivanka et ancien promoteur immobilier condamné pour malversation fiscale, effectue ses premiers pas de diplomate à Paris, où il n’a pris son poste qu’en juillet. « La réaction des autorités françaises exprime leur volonté de donner un coup d’arrêt aux tentatives d’ingérence américaines que l’on redoute à Paris et de faire comprendre à cet ambassadeur que la scène politique française, dans un pays très soucieux du sort de la plus grande communauté juive continentale, n’est pas celle des Etats-Unis », observe-t-il.

« Charles Kushner a agi à l’inverse de notre conception de la diplomatie, où l’ambassadeur doit servir d’intermédiaire, quitte à dire des choses désagréables en toute confidentialité. Le risque avec ce genre de comportement est de perdre la confiance des autorités locales », juge l’ancien ambassadeur de France en Syrie Michel Duclos.

Quoi qu’il arrive, ces échanges acrimonieux sont susceptibles de compliquer les efforts déployés par les diplomates français sur la scène internationale – M. Macron se rend en Moldavie mercredi 27 août, avec le premier ministre polonais, Donald Tusk, et le chancelier allemand, Friedrich Merz. Puis il recevra ce dernier, jeudi, au fort de Brégançon (Var), et une partie de son gouvernement, vendredi, à Toulon. Le dossier nucléaire iranien et la sécurité du continent seront à l’ordre du jour.

Un député RN endosse les critiques

Si le président américain n’a pas commenté l’incident provoqué par M. Kushner, le département d’Etat a déjà pris la défense de son ambassadeur. Avant le grand rendez-vous onusien de septembre, les autorités françaises s’attendent à une « bataille informationnelle » de grande ampleur avec les Etats-Unis et Israël au sujet de l’Etat de Palestine, dixit un diplomate. « Cela démontre que notre positionnement les dérange, car nous sommes en mesure d’entraîner d’autres Etats, comme le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie », veut croire cette source.

En juin, M. Macron s’était par ailleurs entretenu en tête à tête avec Mme Meloni pour tenter d’améliorer leurs relations, émaillées d’incidents depuis l’arrivée au pouvoir de la dirigeante postfasciste. La présidente du conseil revendique sa proximité avec l’administration Trump : elle est elle-même opposée à l’envoi de troupes en Ukraine et s’est bien gardée d’intervenir contre M. Salvini.

Tandis que le gouvernement de François Bayrou est en sursis, ces alertes sont prises d’autant plus au sérieux par les responsables français que les autorités américaines et italiennes disposent de relais politiques en France, notamment dans les rangs du Rassemblement national. Lundi matin, le député de l’Yonne Julien Odoul a ainsi endossé les critiques de M. Kushner : « J’ai le regret de dire qu’il a raison ; M. Macron ne fait rien depuis huit ans qu’il est au pouvoir pour lutter contre la haine des juifs dans notre pays », a-t-il dit sur Franceinfo, après avoir reconnu que « ce n’est pas à l’ambassadeur des Etats-Unis de donner des leçons ».

« Le combat du gouvernement français est sans ambiguïté face à l’antisémitisme, a au contraire expliqué la ministre chargée de la lutte contre les discriminations, Aurore Bergé, sur Europe 1-CNews. Le sujet est trop grave. Il est trop important, à mon avis, pour être pris à partie dans des enjeux diplomatiques. » « Il y a une forme d’antisémitisme d’atmosphère qui s’installe dans toutes nos démocraties et que nous combattons », a-t-elle jugé pour défendre le bilan des autorités françaises. Pas certain que cela suffise à convaincre M. Kushner.

[Source: Le Monde]