L’été marqué par la canicule et les feux peut-il relancer la transition écologique en France ?

Après des mois de reculs sur les questions d’environnement, les désastres liés au changement climatique ont occupé le devant de la scène. Reste à savoir si cette préoccupation perdurera chez les élus, notamment pendant le débat budgétaire.

Août 29, 2025 - 01:38
L’été marqué par la canicule et les feux peut-il relancer la transition écologique en France ?
SERGIO AQUINDO

Une piqûre de rappel de l’opinion et un énième coup de semonce de la planète. Cet été, après des mois d’attaques contre les acteurs de l’écologie et de reculs à l’Assemblée nationale, le personnel politique a été pris de court. D’abord par le succès de la pétition réclamant l’abrogation de la loi Duplomb (2 125 934 signatures à ce jour), suivie par la censure partielle du Conseil constitutionnel qui a empêché, le 7 août, la réintroduction de l’acétamipride, pesticide interdit de la famille des néonicotinoïdes. Puis la canicule qui a sévi sur une large partie de la France, et les incendies, partout en Europe, ont occupé le devant de la scène médiatique.

De quoi replacer l’écologie à une place différente au sein du débat politique ? « L’actualité remet au premier plan les enjeux liés aux questions environnementales, analyse le cabinet de la ministre de la transition écologique, Agnès Pannier-Runacher. Mais, vu le contexte actuel, il est difficile de savoir dans quel état d’esprit tout le monde va rentrer. Cela va-t-il nous donner des éléments pour peser et avancer ou est-ce que cela ne va être qu’un feu de paille qui s’éteindra avant l’automne ? »

Depuis le début de l’année, de nombreux pans de la politique écologique de la France sont victimes d’une offensive de la droite et de l’extrême droite, qui ont multiplié les amendements – suppression des zones à faibles émissions défendue aussi par La France insoumise (LFI), moratoire sur les éoliennes et le photovoltaïque dans la loi de simplification économique, adoptée le 17 juin.

Ce pari électoral sur un éventuel backlash, une réaction conservatrice de l’opinion à la transition écologique, s’est déroulé sous les yeux de macronistes timorés et souvent sur la même ligne. « Je dis depuis des semaines qu’il y aura un backlash au backlash, car tout cela allait beaucoup trop loin, pense Marine Tondelier, secrétaire nationale des Ecologistes. La pétition contre la loi Duplomb a montré ce que nous savons depuis toujours : une grande partie des Français sont très attentifs à ces questions, tout comme de nombreux acteurs économiques trouvent absurdes tous ces reculs. »

Histoire de donner une suite politique à la pétition, la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale devrait organiser un débat sur ce sujet dans les semaines suivant la rentrée. La conférence des présidents décidera ensuite s’il est possible de le faire au sein de l’Hémicycle. Si la présidente (Renaissance) de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, s’est déjà prononcée en faveur de cette initiative, elle s’oppose à toute abrogation. Aurélie Trouvé, députée (LFI) de Seine-Saint-Denis et présidente de la commission des affaires économiques, aimerait positionner un texte qui reviendrait sur toutes les autres dispositions de la loi Duplomb dans la niche parlementaire de son groupe, en novembre.

« L’écologie n’est pas qu’une préoccupation de citadins »

« La droite et l’extrême droite se trompent quand elles veulent accaparer l’électorat rural en le décrivant comme écolosceptique, estime-t-elle. Une très grande majorité de ruraux sont davantage préoccupés par leur santé et celle de leurs enfants que par la capacité de production alimentaire de leur territoire. L’écologie n’est pas seulement une préoccupation de citadins. »

Mais les curseurs commenceraient-ils à bouger aussi au sein du bloc central ? En juillet, des voix macronistes avaient commencé à s’opposer plus fermement aux attaques venues de ministres de leur propre gouvernement. Agnès Pannier-Runacher et, plus étonnamment, l’ancien premier ministre Gabriel Attal, pourtant très silencieux sur ces questions, avaient dénoncé la tribune signée par le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, qui appelait à « stopper le financement des renouvelables ».

Le 21 juillet, le parti Renaissance a même publié un programme plus ambitieux intitulé « Pour une nouvelle donne économique et climatique », où Pascal Canfin, député européen Renew Europe, et Antoine Pellion, ancien secrétaire général à la planification écologique, proposent des mesures telles qu’une taxe carbone « progressive en fonction des revenus et des lieux de vie » ou une planification des financements verts sur cinq ans.

Comme si les stratèges du camp macroniste commençaient, moins de deux ans avant l’élection présidentielle, à redouter une fuite importante d’un électorat concerné par les questions environnementales. « Cela a vocation à nourrir les travaux du groupe parlementaire, à préparer d’éventuelles élections anticipées, mais aussi à être un référentiel à plus long terme », confirme M. Pellion, qui assure que le parti Renaissance a la volonté de porter l’idée d’une TVA à taux réduit sur les véhicules électriques lors des débats sur le prochain projet de loi de finances.

Contexte politique et budgétaire délicat

Dans les études d’opinion, les questions climatiques et écologiques connaissent souvent un regain d’intérêt et d’inquiétude après les étés caniculaires. Cela avait été particulièrement sensible en 2019, une année également marquée par les marches pour le climat d’une partie de la jeunesse en Europe.

Depuis cette époque, cette préoccupation est souvent restée à un niveau élevé, mais en étant aussi dépassée par la question du pouvoir d’achat, de l’insécurité ou du contexte international. « On commence malheureusement à être habitué, souligne Benoît Leguet, directeur de l’Institut de l’économie pour le climat. Chaque été, nous subissons maintenant un ou deux épisodes caniculaires, des feux et des drames qui font la “une” des journaux. On se pose la question des moyens, et après, en septembre, il n’y a plus rien, tout est oublié par les parlementaires au moment de s’occuper des questions budgétaires. Comme si le monde politique était condamné à être dans des discussions en réactivité et pas dans l’anticipation et l’adaptation au réchauffement climatique pour les années à venir. »

Si la question écologique est réapparue depuis quelques semaines, le contexte politique et budgétaire est toujours aussi délicat pour les acteurs de l’environnement. Après des coupes successives dans certaines enveloppes cruciales pour la transition écologique (rénovation des bâtiments, électrification des véhicules, fonds vert à destination des collectivités…), le ministère de la transition écologique espère juste pouvoir maintenir ces dernières au même niveau alors que Matignon et Bercy sont à la recherche de 40 milliards d’euros d’économies.

La promesse initiale de monter en puissance sur le financement de la transition est en tout cas provisoirement abandonnée, même si le ministère promet de dégager de l’argent par le biais des certificats d’économies d’énergie, notamment pour financer le leasing social – un dispositif qui permet aux plus modestes de disposer d’un véhicule électrique pour 100 euros par mois – ou MaPrimeRénov’.

« Préparer la prochaine élection présidentielle »

A la tête d’un gouvernement pluriel, composé de ministres Les Républicains parfois écolosceptiques et de macronistes très attachés à une forme de simplification de la vie économique, François Bayrou ne semble avoir aucune ambition sur le sujet.

Malgré les propos d’Emmanuel Macron critiquant les ministres qui préfèrent « “brainwasher” sur l’invasion du pays et les derniers faits divers » que défendre son bilan écologique, aucun texte ambitieux n’est programmé sur ce sujet dans les mois à venir. Lors de la seconde lecture de la proposition de loi de « programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie », Matignon va-t-il pencher vers des députés de droite opposés à l’éolien ou vers une politique de développement des renouvelables ?

« Ils sont tellement décrédibilisés qu’il est difficile de voir la différence entre eux et Les Républicains sur la question écologique », affirme Mme Trouvé. « Le contexte politique a beau être ce qu’il est, l’écologie fait partie du référentiel des macronistes et tout le monde en a bien conscience pour préparer les mois à venir et la prochaine élection présidentielle », rétorque M. Pellion. L’échéance des municipales, en mars 2026, avec des maires et des candidats en première ligne sur la question de l’adaptation au réchauffement, sera un premier révélateur de la place de l’écologie dans le débat politique.

[Source: Le Monde]