Gouvernement de gauche, dissolution ou présidentielle anticipée : le bloc central se déchire sur les options de l’exécutif
Alors que Sébastien Lecornu a jusqu’à mercredi soir pour trouver un compromis avec les forces politiques, Edouard Philippe a appelé à une présidentielle anticipée, semant la stupeur au sein du camp macroniste. Brisant un autre tabou, Elisabeth Borne a ouvert la porte à une suspension de la réforme des retraites.

On n’est jamais trahi que par les siens. En appelant à une présidentielle anticipée, Edouard Philippe a ouvert une brèche et levé un tabou, mardi 7 octobre. Circonscrite jusqu’ici aux deux extrémités de l’échiquier politique et à quelques voix isolées, la demande d’un départ avant terme d’Emmanuel Macron n’avait jamais été évoquée publiquement, au sein du camp présidentiel, depuis le début de la crise politique.
Venant de celui qui a gouverné le pays trois années durant (2017-2020) aux côtés du président de la République, le scénario d’une démission d’Emmanuel Macron, « selon un processus ordonné, digne », précise-t-il, « dans un tempo qui lui appartient, une fois le budget adopté », est désormais crédible et ne peut plus être balayé d’un revers de main.
Là où le Rassemblement national et La France insoumise réclament la démission immédiate du chef de l’Etat, le président d’Horizons prétend, lui, respecter les institutions et ménage le locataire de l’Elysée : « Personne ne lui force la main », « je ne le mets pas au pied du mur », insiste-t-il dans un entretien au Figaro, mardi soir. Mais l’objectif est le même : obtenir le départ d’Emmanuel Macron afin d’organiser une élection présidentielle anticipée au premier semestre 2026. Cela éviterait que « pendant dix-huit mois encore, la crise que nous constatons perdure et ruine le crédit de la France », justifie le maire du Havre.
La question de la démission de Macron
Bien conscient qu’Emmanuel Macron n’a pas l’intention de démissionner, il estime néanmoins que le chef de l’Etat ne pourra pas résister à la pression et aller au terme de son mandat. Surtout, Edouard Philippe, en perte de vitesse dans les sondages, n’entend plus pâtir de l’instabilité politique engendrée par la « funeste » dissolution de juin 2024. Entre son destin présidentiel et sa loyauté au chef de l’Etat, il a choisi. « Cette “néronisation” du pouvoir, c’est catastrophique et Edouard Philippe le sait », soutient le maire Les Républicains (LR) de Meaux, Jean-François Copé, qui fut le premier à droite à défendre la démission programmée du chef de l’Etat.
Une grande partie du camp présidentiel a perdu espoir de voir un jour Emmanuel Macron faciliter un compromis, alors qu’il ne dispose plus de majorité depuis trois ans. Le blocage politique « est le résultat d’une série de mauvaises décisions du président. Et la composition du gouvernement en était une », soupire le maire Horizons de Rilleux-la-Pape, Alexandre Vincendet.
Signe de la profonde solitude d’Emmanuel Macron, rares ont été les personnalités du bloc central à tenter de contredire Edouard Philippe. Ni le premier ministre démissionnaire, Sébastien Lecornu, ni le ministre de la justice démissionnaire, Gérald Darmanin, ne se sont exprimés sur le sujet. « Il y a parmi les anciens macronistes une sorte de course à qui se défera le plus rapidement possible de cet héritage », constatait, sur France Inter, le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Boris Vallaud.
Seule la ministre de l’éducation nationale démissionnaire, Elisabeth Borne (2022-2024), a appelé, mardi soir, « à ne pas fragiliser le président de la République », dans un entretien au Parisien. « Tous ceux qui sont attachés à nos institutions ne devraient pas soulever » la question de sa démission, sermonne-t-elle.
Attaque frontale
Gabriel Attal, qui se dit « à la tête d’un groupe de rescapés envoyés au casse-pipe dans la pire configuration possible »,déjà très critique à l’égard d’un président qu’il « ne comprend plus », n’a pas voulu en rajouter. Devant les députés de son groupe, mardi, l’ancien premier ministre a refusé de mêler sa voix à ceux qui veulent écourter le quinquennat. Pour le secrétaire général de Renaissance, « c’est tout notre équilibre démocratique qui serait fragilisé car, à l’avenir, plus aucun président ne pourrait tenir ».
« Demander la démission du président de la République, ce serait un coup de force institutionnel », dit, au Monde, l’ancien député MoDem Jean-Louis Bourlanges, qui fait porter la responsabilité de la crise sur le seul Parlement, « incapable de s’entendre ». De son côté, le chef des députés MoDem, Marc Fesneau, a jugé, mardi, sur Public Sénat, « très commode aujourd’hui de s’acharner sur un seul homme », y voyant « une forme d’ingratitude », alors que « nous sommes tous le produit d’une élection gagnée par un seul homme, Emmanuel Macron ».
En attaquant frontalement le chef de l’Etat, Gabriel Attal et Edouard Philippe ont intégré les nouvelles dynamiques de l’opinion, défavorables au camp macroniste. Mais, en représailles, Emmanuel Macron pourrait être tenté de dissoudre l’Assemblée nationale afin d’affaiblir les prétendants à sa succession, redoutent certains caciques du bloc central.
Fin août, Edouard Philippe jugeait, sans pour autant la souhaiter, « assez inéluctable » une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale, en cas de blocage persistant et d’impossibilité d’adopter les textes budgétaires. Alors qu’Emmanuel Macron, après avoir « épuisé » trois premiers ministres, cherche aujourd’hui une issue à ce blocage et fait planer la menace d’une dissolution si Sébastien Lecornu ne trouvait aucun compromis avec les forces politiques d’ici à mercredi soir, le candidat Horizons à la présidentielle le met en garde : « Si une nouvelle dissolution ne permettait pas de dégager une majorité stable, la crise deviendrait alors d’une gravité aiguë. » Et le président en porterait l’entière responsabilité.
Suspension de la réforme des retraites ?
Au cours de la rencontre, deux heures durant mardi matin, entre les représentants du « socle commun » et Sébastien Lecornu, l’appel d’Edouard Philippe à la démission du président de la République n’a pas été évoqué. « C’était l’éléphant dans la pièce », rapporte un participant. Les échanges ont tourné autour des dispositions techniques du budget.
Derrière les rancœurs et les rivalités qui gangrènent le camp présidentiel, les tenants du macronisme s’entredéchirent, entre ceux qui ont le regard tourné vers la gauche et ceux qui aspirent à ressusciter le socle commun avec la droite. A l’Elysée, deux options semblent se dégager : la nomination d’un quatrième premier ministre en un an, cette fois de gauche, ou bien la dissolution de l’Assemblée nationale. Comme s’il voulait accréditer cette seconde éventualité, Emmanuel Macron a reçu séparément, mardi après-midi, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, et son homologue du Sénat, Gérard Larcher, pour faire un état des lieux du blocage politique. Selon l’article 12 de la Constitution, le chef de l’Etat doit consulter les présidents des deux chambres avant de dissoudre.
La ministre de l’éducation nationale démissionnaire, Elisabeth Borne, qui plaide « pour la nomination à Matignon d’une personnalité qui ne soit pas marquée politiquement », fait miroiter à la gauche et aux syndicats une concession de taille, réclamée depuis trois semaines par le Parti socialiste (PS) : la suspension de l’impopulaire réforme des retraites, qu’elle a fait adopter par 49.3 au printemps 2023. « Si c’est la condition de la stabilité du pays, on doit examiner les modalités et les conséquences concrètes d’une suspension jusqu’au débat qui devra se tenir lors de la prochaine élection présidentielle », concède-t-elle sans plus de précisions.
Réactions en cascade
Cette annonce, derrière laquelle certains voient la main de Matignon, – le premier ministre l’évoquait au même moment avec Place publique –, a provoqué des réactions en cascade, à commencer par celle du premier secrétaire du PS, Olivier Faure. « C’est un réveil tardif mais positif », a-t-il concédé au 20 heures de France 2. « Elle démontre que ce point peut être dépassé et permettre en bonne partie l’adoption d’un budget. C’est un signal positif », a salué la secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon.
Suffisant pour réenclencher le dialogue entre le socle commun et les socialistes ? Une chose est sûre, « les discussions que mène Sébastien Lecornu visent justement à essayer d’éviter une dissolution », qui « risquerait d’empirer les choses », à en croire Elisabeth Borne.
En parallèle de ces appels du pied aux socialistes, l’éphémère premier ministre tente de recoller les morceaux avec Les Républicains. Mais la droite, empêtrée dans ses divisions, peine à parler d’une seule et même voix. Mardi après-midi, ont été reçus à Matignon, à une heure d’intervalle, le chef de file des députés LR au Palais-Bourbon, Laurent Wauquiez, puis le président du parti, Bruno Retailleau.
Au premier, Sébastien Lecornu a posé un ultimatum : sans « entente » avec le camp présidentiel d’ici à mercredi soir, Emmanuel Macron n’aurait pas d’autres choix que d’être contraint à la « nomination » d’un premier ministre de gauche ou à « la dissolution ». Deux cas de figure qui épouvantent la droite, mais qui s’imposent de facto à Emmanuel Macron après la dislocation du gouvernement Lecornu, provoquée par Bruno Retailleau. « Leur interrogation, c’est de savoir si, après la position de Bruno Retailleau (…), on est toujours dans cette logique d’entente avec la Macronie », a exposé, mardi soir, Laurent Wauquiez devant les députés LR.
De son côté, le ministre de l’intérieur démissionnaire n’a rien cédé, défendant l’idée, au 20 heures de France 2, d’une « cohabitation » avec Emmanuel Macron et rejetant toute participation à un gouvernement « dirigé par un homme de gauche » ou « par un macroniste ».
Plus tôt dans la journée, les élus LR réunis autour de Laurent Wauquiez et de Bruno Retailleau ont partagé leurs doutes, teintés d’une forme de fébrilité, après la déclaration choc d’Edouard Philippe. « On assiste à l’effondrement du macronisme, a soutenu Laurent Wauquiez devant ses troupes. Attention à ne pas être la dernière bouée de sauvetage d’un macronisme finissant. » Sébastien Lecornu a prévu de rendre compte de ses consultations au président de la République, mercredi soir.
[Source: Le Monde]