Comment je me suis disputée : « Ma tante me dit qu’elle s’est trompée sur la place qu’elle m’a donnée dans sa vie »
Une querelle d’amour ou d’amitié, un déchirement familial ou une engueulade professionnelle ont marqué leur vie… Cette semaine, Marion, 28 ans, qui vit dans les Pyrénées.

« J’ai toujours été très proche de ma tante maternelle, qui est aussi ma marraine. Quand j’étais enfant, elle habitait à une quinzaine de minutes de chez mes parents, et nous nous voyions tous les week-ends. Nous passions des vacances ensemble. Pour mes 18 ans, elle m’a invitée à Londres. Pendant toute ma jeunesse, son mari et elle ont sans doute été les gens que nous avons vus le plus souvent, et nos relations étaient empreintes d’une grande tendresse.
A la fin de mes études, en 2018, je suis partie dans les Pyrénées. Au départ, je devais y rester le temps d’un stage, et finalement je m’y suis installée pour de bon. Le contact s’est distendu avec ma tante. Elle ne prenait pas beaucoup de mes nouvelles et répondait peu à mes messages. Elle n’est venue qu’une fois me voir, à la faveur d’une visite à son fils. Je n’y pensais pas plus que cela parce que, lorsque nous nous retrouvions à Paris, tout était comme avant, notre lien était intact.
J’ai rencontré mon compagnon, et j’ai vite senti que cette partie de ma vie n’intéressait pas du tout ma tante. Quand je les ai présentés, elle s’est montrée cordiale avec lui, sans plus – alors qu’il a noué un lien d’attachement fort avec mes parents, par exemple. C’était un peu bizarre. Elle ne me posait presque aucune question sur lui. “Et lui, ça va ?”, un point c’est tout. Je me suis dit qu’elle avait peut-être peur que ma relation avec lui m’éloigne d’elle.
L’année dernière, mon compagnon et moi avons décidé de nous marier. Un mariage très intime : juste nous, nos parents et nos grands-parents encore en vie. C’est ce dont nous avions envie. Je sais que c’est un choix qui peut décevoir, alors j’ai pris soin d’appeler ma tante tout de suite pour qu’elle ne l’apprenne pas par quelqu’un d’autre. Elle était très contente pour nous. Elle m’a dit qu’elle comprenait parfaitement que l’on ait envie d’un petit mariage.
« Je n’allais pas l’embêter »
Quand j’ai prévenu l’autre sœur de ma mère, elle a tout de suite exprimé le souhait de s’investir. Elle m’a dit qu’elle aimerait que je lui montre mon alliance et ma tenue, ce que j’ai fait en lui envoyant des photos. Elle m’a demandé si elle pourrait juste passer nous saluer devant la mairie, car elle n’habite pas loin. Je lui ai dit oui, mais je ne savais pas trop comment ma marraine allait le prendre, et je ne voulais pas la froisser. Elles en ont discuté entre elles, et tout s’est bien passé.
Jusqu’à l’avant-veille de mon mariage, le 14 décembre, nous n’avons pas du tout reparlé de l’événement avec ma tante. Je me suis dit que cela ne l’intéressait pas et que je n’allais pas l’embêter en l’incluant dans les préparatifs.
Deux jours avant notre union, elle m’a donc écrit pour me demander si tout se passait bien. Je lui ai envoyé une photo de la table de mariage dressée avec les verres qu’elle m’avait offerts. “Je suis touchée”, m’a-t-elle répondu.
Le mariage s’est très bien passé. Parmi les messages de félicitations, il y en avait un de ma tante qui m’a fait plaisir. Puis silence radio. Nous avons attendu les vacances de Noël pour faire un tri des photos et créer un groupe WhatsApp de nos proches, afin qu’ils aient quelques images de la cérémonie. Comme ils ne se connaissent pas entre eux, nous avons désactivé les réponses, pour éviter que chacun croule sous les messages.
Le 22 décembre au soir, je suis avec mes parents et mon mari en train de préparer Noël lorsque mon téléphone sonne, à 22 heures. Un message de mon oncle, son mari, qui me félicite assez froidement et ajoute : “Je tiens à te préciser que ta tante est très malheureuse. Tu ne peux pas imaginer la peine que tu lui as faite. Elle pensait avoir tissé avec toi une relation particulière depuis que tu es toute petite. A priori, il n’en est rien puisque ton mariage s’est fait sans elle, sans presque un mot, ni un signe. Ce sont tes choix, mais je pense important que tu le saches.”
« Je tombe des nues »
Je m’effondre en larmes. Ce n’est pas tant de la peine que de la sidération. Je tombe des nues. Oui, je savais qu’un petit mariage pouvait être problématique, et nous étions justement heureux et soulagés que tout le monde ait bien réagi dans les deux familles. Mes parents, me voyant au plus mal, prennent chacun leur téléphone pour dire à mon oncle qu’il a été indélicat. Nous savons que ma tante n’est pas avec lui ces jours-ci. Pourquoi envoyer un tel message ?
Moi, je ne veux pas appeler ma tante, parce que je n’aime pas trop être au téléphone. Alors, le lendemain, je lui fais un long vocal, qui commence par : “Ecoute-le bien quand tu seras toute seule.” Je lui demande si ce que dit mon oncle est vrai, je lui dis que je ne comprends plus rien et qu’il n’était pas question de lui faire de peine.
Elle met vingt-quatre heures à me répondre. Elle me dit qu’elle n’était pas au courant de la démarche de mon oncle, mais qu’il a raison et qu’elle compte m’envoyer une lettre. Ensuite, j’attends plusieurs semaines. Entre-temps, j’apprends qu’elle a pris un café avec ma mère, qui a très mal tourné. Ma mère est partie en claquant la porte, ma tante répétait que nous étions dans le déni, que nous ne comprenions pas son chagrin. Elle m’en a voulu de ne pas lui avoir proposé de venir quand je faisais des essayages pour la robe, et d’avoir envoyé la photo de mon alliance à mon autre tante. Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est ce groupe WhatsApp où l’on ne pouvait pas répondre. Elle a pensé que c’était dirigé contre elle, et elle s’est sentie exclue.
Sa lettre finit par arriver début janvier. Elle m’y décrit son ressenti. Dès le début, elle a été peinée de mon choix, mais elle a fait comme si de rien n’était. Pendant des mois, elle s’est persuadée que j’allais finir par l’inviter. Elle apprend que mon autre tante va venir m’embrasser devant la mairie et elle se dit qu’elle aussi va pouvoir venir. “A ce moment-là, je suis convaincue que tu vas m’appeler pour que je participe à la cérémonie et m’en réjouis d’avance”, m’écrit-elle. “Je réserve un billet de train aller-retour pour la journée.” Puis le temps passe et elle reste sans nouvelles, mais elle n’ose pas m’appeler pour ne pas imposer sa présence. Elle est finalement contrainte d’annuler son billet la veille du mariage. “Je me suis trompée sur la place que je t’ai donnée dans ma vie”, continue-t-elle. “C’est de ma faute, c’est moi qui t’ai donné une place particulière dans ma vie et pas l’inverse. Je crois qu’au fond de moi tu étais la petite fille que je n’ai pas eue”, conclut-elle. En lisant ces phrases, je me dis qu’il y a énormément de choses qui se jouent là-dedans, dont certaines me dépassent.
Inverser les points de vue
Dans le premier jet de ma réponse, je suis très en colère. Je le jette et recommence avec un texte plus factuel. “Tu m’as offert la possibilité de voir les choses de ton point de vue, je te propose d’inverser”, lui écris-je. Je lui parle de mon départ dans les Pyrénées et de son silence, de son indifférence apparente envers mon conjoint. Et, surtout, comment aurais-je pu savoir ce qu’elle ressentait puisqu’elle dit elle-même qu’elle a fait comme si de rien n’était ?
En guise de réponse, je reçois une invitation à son propre mariage, avec un mot : “Allons de l’avant, laissons le temps réparer les malentendus et tensions.” Un peu bêtement, moi, j’attendais des excuses. D’autant que cette histoire a fait des dégâts dans ma famille : ma mère et sa sœur ne se parlent plus, alors qu’elles ont toujours été très proches. Mon père est en colère. Mon autre tante voudrait que tout le monde se rabiboche.
J’ai fini par envoyer un mot rapide à ma marraine pour lui dire que je n’irai pas au mariage. Cette dispute est trop fraîche, je ne veux pas lui rappeler par ma présence tout le mal-être que j’ai provoqué chez elle, surtout pas un jour aussi important. Je lui souhaite de passer une belle journée, et je ne pense pas que ce serait le cas si j’étais là. »
[Source: Le Monde]