Au Brésil, l’extrême droite divisée face aux menaces de Donald Trump
L’ingérence dans les affaires brésiliennes du président américain, qui a annoncé, mercredi, porter à 50 % les droits de douane sur les produits nationaux pour protester contre le procès de Jair Bolsonaro, est loin de faire l’unanimité chez les conservateurs, qui estiment nécessaire « de mettre la question politique de côté ».

Il a tardé à réagir, et ne l’a fait que du bout des lèvres. Une nuit entière de réflexion aura été nécessaire à Jair Bolsonaro pour commenter l’annonce fracassante faite par Donald Trump, le 9 juillet, prévoyant de porter à 50 % les droits de douane sur l’ensemble des exportations brésiliennes vers les Etats-Unis. Une décision que le milliardaire américain avait pourtant motivée par les ennuis judiciaires de son allié, poursuivi en justice pour tentative de coup d’Etat et menacé de quarante-trois années de détention.
« Cette décision est la conséquence directe de l’éloignement du Brésil de ses engagements historiques pour la liberté et l’Etat de droit », a déploré Jair Bolsonaro dans une note, le 10 juillet, sur les réseaux sociaux. L’ancien président d’extrême droite y salue, certes, « la fermeté et le courage » de son « ami » Donald Trump, mais évite soigneusement tout triomphalisme, appelant à une sortie de la crise. « Il est encore possible de sauver le Brésil », conclut-il avec gravité.
Pour ce dirigeant nationaliste, impossible de se réjouir publiquement des sanctions imposées à son propre pays. Certes, seules 12 % des exportations brésiliennes ont pour destination les Etats-Unis (contre 30 % vers la Chine), mais le pays y vend encore d’importantes quantités de pétrole, d’aéronefs et de produits semi-finis en fer ou en acier : autant de secteurs, vestiges d’une industrie moribonde, qui pourraient être durement touchés par des droits de douane américains.
Activisme du clan Bolsonaro
Chez les bolsonaristes, consigne a été donnée de ne pas célébrer outre mesure la charge de Donald Trump. « C’est la faute de Lula », répètent ces derniers, tenant l’actuel président de gauche, Luiz Inacio Lula da Silva, et sa diplomatie « antiaméricaine » pour responsable de la surtaxe. « Le président menace le dollar, approvisionne des navires iraniens, accuse Israël, défend le Hamas, protège [Nicolas] Maduro au Venezuela, se range du côté de la Russie… Il était évident que des représailles allaient arriver », confie au Monde le député Evair de Melo, proche de Jair Bolsonaro. « Le soutien de Lula à des régimes totalitaires, qui agissent ouvertement contre le monde libre, a certainement influencé la décision de Trump », renchérit son collègue Daniel Freitas.
Mais la réalité est sensiblement différente. En effet, l’origine des « sanctions » de Trump se trouve non pas du côté de Lula, mais bien dans l’activisme du clan Bolsonaro, qui œuvre depuis des mois en coulisses pour obtenir de la Maison Blanche des pressions sur les magistrats brésiliens. Au cœur de ces manœuvres peu discrètes se trouve Eduardo Bolsonaro, 41 ans, député fédéral de Sao Paulo et fils de l’ancien président. Poursuivi lui aussi en justice, il vit depuis mars en exil aux Etats-Unis. « Il est installé là-bas et supplie “O Trump, pour l’amour de Dieu, Trump, sauve mon père, ne laisse pas mon père être arrêté !” », a ironisé Lula, le 11 juillet, dans un discours.
Ces derniers jours, « Eduardo » n’a en effet pas hésité à brandir publiquement une forme de chantage contre l’Etat de droit brésilien, conditionnant l’annulation de la hausse des droits de douane à une « amnistie large, générale et sans conditions » pour son père, mais aussi pour tous les autres prévenus accusés d’avoir participé à la tentative de putsch de décembre 2022.
« Un effet désastreux pour la droite »
Mais cette prise de position est loin de faire l’unanimité. Le gouverneur de Sao Paulo, Tarcisio de Freitas – poids lourd de l’extrême droite – a adopté un ton autrement plus modéré. « Le moment exige une union des efforts, une synergie, car la situation est compliquée pour le Brésil (…) Nous devons nous serrer les coudes, mettre la question politique de côté et tenter de résoudre ce problème », a-t-il déclaré le 12 juillet, au lendemain d’une rencontre avec Gabriel Escobar, chef intérimaire de l’ambassade des Etats-Unis.
La sortie du gouverneur, dirigeant de la région la plus riche du Brésil, a particulièrement irrité Eduardo Bolsonaro. Les deux hommes sont aujourd’hui concurrents pour la tête du camp conservateur à la présidentielle de 2026. Condamné pour ses attaques contre le système des urnes électroniques, Jair Bolsonaro a été déclaré inéligible pour une durée de huit ans, soit jusqu’en 2030. « L’annonce de l’augmentation des droits de douane par Donald Trump a eu un effet désastreux pour la droite. Elle a éloigné les modérés et accentué ses divisions », note Marcelo Alves, chercheur spécialiste des réseaux bolsonaristes en ligne.
A l’inverse, la menace américaine agit comme un catalyseur pour rassembler la gauche. Le 10 juillet, plus de 15 000 manifestants se sont réunis sur l’avenue Paulista à Sao Paulo, brandissant des portraits de Jair Bolsonaro et de Donald Trump, qualifiés d’« ennemis du peuple », tandis que d’autres brûlaient des poupées à l’effigie du président américain.« Lula va bénéficier de l’effet “rassemblement autour du drapeau”, soit un accès d’unité populaire, comme le premier ministre canadien, Mark Carney, et la présidente mexicaine, Claudia Sheinbaum, eux aussi visés par les hausses tarifaires », estime Eduardo Mello, politologue à la Fondation Getulio Vargas.
[Source: Le Monde]