L’Allemagne va instaurer un service militaire volontaire

Le projet de loi, présenté mercredi en conseil des ministres, ne va pas assez loin pour la CDU/CSU qui veut rétablir la conscription obligatoire.

Août 29, 2025 - 01:37
L’Allemagne va instaurer un service militaire volontaire
Une affiche de la Bundeswehr, l’armée allemande, à Berlin, le 20 août 2025. Le slogan publicitaire dit : « Défendre notre démocratie. Chaque matin ». JOHN MACDOUGALL / AFP

L’Allemagne fut le dernier pays européen à supprimer la conscription, en 2011. Pourrait-elle la réinstaurer ? A Berlin comme ailleurs en Europe, la guerre en Ukraine a remis cette question au cœur du débat politique. Le gouvernement du chancelier conservateur, Friedrich Merz (Union chrétienne-démocrate, CDU) devait présenter, à l’occasion de son conseil des ministres de rentrée, mercredi 27 août, un texte visant à permettre la réintroduction progressive du service militaire en Allemagne. Pour l’occasion, la réunion du cabinet a été délocalisée au ministère de la défense, signe de l’importance que le chancelier accorde aux questions de sécurité. Une première depuis plus de trente ans.

Le service militaire obligatoire a été suspendu en 2011 en Allemagne, sans avoir été formellement supprimé, faute, à l’époque, d’un consensus en ce sens. Alors dirigé par Angela Merkel (CDU), le gouvernement souhaitait faire des économies, dans un contexte de crise financière, et professionnaliser une armée qui semblait ne plus devoir être mobilisée que pour des conflits secondaires. Ses effectifs, qui avaient atteint le demi-million pendant la guerre froide, devaient être ramenés de quelque 250 000 soldats, en 2010, à 185 000.

« A l’époque, il y avait des raisons pour suspendre le service militaire obligatoire, mais, rétrospectivement, c’était une erreur », résumait en décembre 2023, dans le quotidien Die Welt, le ministre de la défense Boris Pistorius (Parti social-démocrate, SPD), resté à son poste dans le gouvernement de Friedrich Merz. De fait, dans un contexte de tensions stratégiques accrues, l’armée allemande fait aujourd’hui face à des difficultés structurelles pour recruter. Elle a pourtant relevé récemment ses objectifs, et aspire à porter ses troupes à 260 000 soldats d’ici à 2031, contre 183 000 actuellement, auxquels viendraient s’ajouter 200 000 réservistes.

Modèle suédois

Mais dans un pays marqué depuis 1945 par une forte tradition pacifiste, le retour du service militaire divise profondément, y compris la coalition « noir-rouge », alliant la CDU et le CSU, son partenaire bavarois chrétien-démocrate, au SPD, au pouvoir depuis le 6 mai. Les conservateurs sont en effet favorables à un retour à la conscription obligatoire, tandis que les sociaux-démocrates y sont foncièrement hostiles. Prudent, le contrat de coalition, présenté le 9 avril, se contente de prévoir la création d’un service militaire « dans un premier temps basé sur le volontariat ».

Le texte présenté mercredi n’a pas encore été rendu public, et faisait encore, lundi soir, l’objet d’ultimes tractations, mais ses grandes lignes sont connues. Faute d’accord pour revenir immédiatement à la conscription, le nouveau service militaire sera fondé sur le volontariat, avec des conditions qui se veulent attractives, notamment une rémunération et des primes d’engagement visant à inciter les recrues à rester dans l’armée. L’accent est mis sur la formation, avec des cours de langue, des camps sportifs ou la possibilité d’obtenir le permis de conduire. Les militaires allemands bénéficient d’autres avantages, comme la gratuité des transports, un salaire de base élevé et des soins médicaux gratuits.

Suivant le modèle suédois, dont la réforme s’inspire, tous les jeunes de plus de 18 ans recevront un questionnaire, obligatoire pour les hommes et facultatif pour les femmes, portant sur leur état de santé, leurs compétences, leurs projets et leur intérêt éventuel pour l’armée. Ce recensement doit permettre aux forces armées de disposer d’une image complète d’une cohorte susceptible d’effectuer son service militaire, ce dont elles ne disposaient plus depuis 2011. Le ministère de la défense espère ainsi être en mesure, d’ici à 2031, de recruter 40 000 jeunes chaque année, hommes et femmes, qui viendraient idéalement alimenter la réserve. Les capacités d’accueil et d’encadrement de la Bundeswehr, l’armée allemande, ne permettent pas d’aller plus vite.

Une fracture entre générations

Le volontariat suffira-t-il à pourvoir les effectifs dont l’armée à besoin ? La CDU/CSU en doute, mais le SPD veut le croire, estimant possible de recruter en recourant à d’autres incitations, financières par exemple. Le texte prévoit qu’à défaut de parvenir à atteindre les objectifs de recrutement sur la base du volontariat, il soit possible de rendre le nouveau service militaire obligatoire avec l’approbation du Bundestag. Une obligation qui ne concernerait que les hommes, une réforme constitutionnelle étant nécessaire pour qu’elle s’applique aux femmes.

Le SPD, sous la pression des Jusos, son mouvement de jeunesse, s’est toutefois assuré qu’aucun automatisme ne soit prévu, comme le souhaitent les conservateurs. « Nous ne voulons pas de possibilité légale activable de faire appel à des conscrits avant que toutes les mesures de recrutement volontaire ne soient épuisées », prévenait ainsi une motion adoptée par le parti, lors de son congrès du 29 juin. Les sondages montrent qu’une majorité d’Allemands est favorable au retour de la conscription, mais révèlent une fracture entre générations : selon un sondage réalisé par Ipsos en juillet, 72 % des plus de 60 ans la soutiennent, contre 52 % pour les 18-39 ans.

« Il n’y a pas d’autre solution que le service militaire obligatoire », a affirmé Markus Söder, le chef de la CSU bavaroise, dans un entretien à la chaîne publique ARD, le 24 août, rappelant que certains experts avaient prévenu que la Russie pourrait attaquer des pays de l’OTAN dès 2027 ou 2029. Avant l’été, Friedrich Merz avait lui aussi prévenu que, si le volontariat ne suffisait pas, « des mesures supplémentaires » seraient nécessaires « très rapidement ». Même au sein du SPD, des voix comme celles de l’ancien ministre des affaires étrangères Sigmar Gabriel ont incité leurs camarades à « accepter des obligations ». « Une Bundeswehr forte ne sert pas à faire la guerre, mais à la prévenir », a avancé M. Gabriel au quotidien Tagesspiegel, le 23 août.

[Source: Le Monde]