Rentrée 2025 : à la tête de l’éducation nationale, Elisabeth Borne plombée par le contexte politique et budgétaire

La ministre tient sa première conférence de rentrée mercredi 27 août, alors que son maintien est incertain et que les personnels de l’éducation nationale ne cachent pas leur inquiétude quant aux conséquences des économies budgétaires annoncées.

Août 29, 2025 - 01:38
Rentrée 2025 : à la tête de l’éducation nationale, Elisabeth Borne plombée par le contexte politique et budgétaire
La ministre de l’éducation, Elisabeth Borne, en visite au collège Halidi-Selemani de M’Gombani, à Mayotte, le 18 août 2025. BERTRAND FANONNEL/SIPA

Après huit mois à la tête de l’éducation nationale, Elisabeth Borne donnait presque un sentiment de stabilité au monde éducatif qui a vu défiler cinq ministres sur la seule année 2024. Mais du fait de la décision de François Bayrou d’engager la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale le 8 septembre, c’est de nouveau une ministre en sursis qui tiendra, mercredi 27 août, la traditionnelle conférence de presse de rentrée censée décliner les grandes orientations de l’année scolaire à venir.

« Ma seule et unique boussole, c’est la rentrée scolaire, évacue Elisabeth Borne dans un entretien au Parisien, mardi soir. (…) Mon énergie est entièrement consacrée à faire en sorte qu’elle se passe dans les meilleures conditions possibles. »

Cette première rentrée pour la ministre, en pleine période de tension budgétaire à l’heure où le gouvernement prévoit 44 milliards d’euros d’économies, pourrait toutefois être aussi la dernière. « C’est un nouveau saut dans l’inconnu, qui rebat complètement les cartes sur le budget mais aussi sur l’orientation politique à venir pour l’école, on ne sait de nouveau pas à quoi va ressembler l’année », déplore Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU, premier syndicat du secondaire.

Les acteurs de l’école espéraient pourtant une rentrée moins troublée que les précédentes. En 2024, les personnels de l’éducation nationale avaient retrouvé leurs élèves dans un contexte inédit d’incertitude après plusieurs mois de valse ministérielle et en pleine indétermination politique après la dissolution de l’Assemblée nationale, en juin. En 2023, ils avaient été échaudés par la frénésie d’annonces du ministre d’alors, Gabriel Attal, et du président de la République, Emmanuel Macron.

Pas de transformation d’ampleur

Au contraire, l’ancienne première ministre, qui s’était d’emblée dite « lucide » quant à l’état de la communauté éducative après des mois d’instabilité ministérielle et presque autant de changements de cap dans la politique éducative, n’a pas annoncé de transformations d’ampleur. « Elisabeth Borne affiche une certaine prudence face à la situation et à une communauté éducative qu’elle sait fragilisée », note l’ancien recteur Alain Boissinot.

Elle a ainsi préféré faire aboutir les mesures précédemment annoncées, et qui entreront en vigueur à la rentrée quelle que soit la situation politique : la mise en œuvre du premier programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, la création d’une épreuve anticipée de mathématiques en première générale et technologique, ou encore la modification des règles d’obtention du brevet pour renforcer le poids des épreuves finales. La ministre a de surcroît annoncé au Parisien sa volonté de « resserrer les exigences » sur le baccalauréat, et de « limiter la possibilité des jurys de remonter les moyennes » pour obtenir le diplôme.

Le plus vaste chantier de l’année à venir, celui de la formation des enseignants, reste, toutefois, encore en cours. La réforme, qui prévoit de déplacer le concours de recrutement à bac + 3 au lieu du bac + 5, doit entrer en vigueur dès 2026, alors que de nombreux éléments restent à préciser, du contenu de la future formation aux sujets de concours en passant par les règles d’affectation des lauréats. Autre inconnu de taille : le budget dévolu à cette transformation majeure, alors que les futurs enseignants seront désormais rémunérés pendant leurs deux années de master. Les organisations syndicales redoutent un sous-financement qui la fragiliserait durablement.

La conférence de presse de rentrée, moment de communication pour les ministres qui en font souvent un discours de politique générale, devait cependant être l’occasion pour Elisabeth Borne, nommée à la surprise générale le 24 décembre 2024 sans projet défini pour l’école, de présenter ses priorités.

Marges de manœuvre très limitées

Mais le spectre d’une chute imminente du gouvernement grève désormais un peu plus sa capacité à dessiner un cap politique de long terme pour le système scolaire.

D’autant que ses marges de manœuvre étaient déjà très limitées. La ministre « se heurte depuis des mois au mur budgétaire, qui empêche toute action alors même que l’école manque de moyens », constate Sophie Vénétitay, du SNES-FSU. « Elle souffre d’une absence de soutien politique, idéologique et financier », abonde Elisabeth Allain-Moreno, du SE-UNSA. La locataire de la Rue de Grenelle, qui a plusieurs fois insisté sur sa volonté de « lutter contre les inégalités sociales ou territoriales », a mis l’accent au fil des mois sur l’orientation ou l’égalité entre les filles et les garçons dans l’accès aux filières scientifiques en présentant des dispositions sans déclinaison budgétaire.

Ses plans pour l’amélioration de la santé mentale des jeunes ou la lutte contre les violences, deux sujets imposés à Elisabeth Borne par plusieurs drames impliquant des adolescents depuis son arrivée au ministère, se heurtent au même écueil. Elle a par ailleurs renoncé au projet pour « dynamiser » les salaires des enseignants en milieu de carrière. Alors que la Rue de Grenelle y travaillait depuis plusieurs mois, le décret prévu n’est finalement pas paru en juin faute d’arbitrage budgétaire favorable.

« En cette rentrée, les préoccupations budgétaires ou le mécontentement social risquent de l’emporter face aux questions purement éducatives », estime Alain Boissinot. Car pour l’heure, le budget annoncé pour l’éducation nationale en 2026 (64,5 milliards d’euros) est presque équivalent à celui de 2025 alors qu’il croît mécaniquement du fait du vieillissement de la population enseignante et que plusieurs mesures impliquent des moyens supplémentaires. Une perspective qui suscite colère et inquiétude parmi le personnel éducatif, lequel redoute d’importantes économies et des suppressions d’emploi dans un contexte de baisse du nombre d’élèves. Une intersyndicale doit se réunir début septembre pour définir les contours de leur mobilisation face à ce budget que la porte-parole du Snuipp-FSU, Aurélie Gagnier, qualifie d’« austéritaire ».

« L’école s’est mise à l’arrêt »

Forts de leurs expériences précédentes, les acteurs s’alarment déjà des conséquences de ces contraintes budgétaires. Durant l’année scolaire 2024-2025, « l’école s’est mise à l’arrêt en cours d’année faute de budget, on n’avait jamais vu ça », s’indigne Elisabeth Allain-Moreno. Des contrats d’enseignants non titulaires n’ont pas été renouvelés en dépit des besoins, les remboursements de frais de déplacements des personnels ont été drastiquement réduits, des moyens ont été repris aux établissements pour faire des économies…

« On nous demande d’en faire toujours plus mais à budget constant ou réduit, dénonce aussi Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du SNPDEN-UNSA, majoritaire chez les chefs d’établissement. On s’attend au pire en 2026, sans compter que les budgets des collectivités territoriales ne sont pas florissants non plus. »

Elisabeth Borne, comme tout ministre de l’éducation qui lui succédera, est plus que jamais prise en étau entre une communauté éducative essorée par les réformes successives et les nombreux enjeux structurants pour l’éducation nationale qui restent sans réponse, tels que l’amélioration des conditions de scolarisation des élèves en situation de handicap, la lutte contre la difficulté scolaire, la réduction d’inégalités toujours importantes, ou encore la problématique majeure du manque d’enseignants.

« Nous n’aurons toujours pas un enseignant devant chaque classe cette année, et nous payons encore l’héritage du quinquennat de Nicolas Sarkozy en termes de manque de personnels, dénonce Catherine Nave-Bekhti, de la CFDT-EFRP. S’il n’y a pas de message fort sur le recrutement, la rémunération, les conditions de travail, on n’arrivera pas à faire mieux. »

La perspective d’un nouveau changement de gouvernement fait ainsi redouter à toutes les organisations syndicales un enlisement des dossiers urgents. « La chute du gouvernement pourrait impliquer des tractations pendant des semaines, voire des mois, et donc une forme d’immobilisme politique, anticipe Sophie Vénétitay. Le risque est que nous ayons des gouvernements qui accompagnent la lente et certaine dégradation de l’école publique plutôt que d’y apporter une réponse nécessaire et même attendue. »

[Source: Le Monde]