Guinée : Mamadi Doumbouya, le putschiste qui a les faveurs de Paris

Le général guinéen a formalisé, le 3 novembre, sa candidature à l’élection présidentielle du 28 décembre. La junte au pouvoir à Conakry depuis 2021 a resserré ses relations, militaires notamment, avec l’ancienne puissance coloniale.

Nov 4, 2025 - 09:56
Guinée : Mamadi Doumbouya, le putschiste qui a les faveurs de Paris
Le général Mamadi Doumbouya, chef de l’Etat de la Guinée, et son épouse Lauriane Darboux-Doumbouya, dans un bureau de vote de Conakry, à l’occasion du référendum sur le projet d’une nouvelle Constitution, le 21 septembre 2025. PATRICK MEINHARDT / AFP

A Conakry, difficile d’échapper à son effigie. Qu’il soit en tenue militaire bardée d’étoiles ou en boubou, le général Mamadi Doumbouya est partout. Sur des panneaux, des tee-shirts ou encore des « bombonas », ces tricycles pétaradants, importés d’Inde, qui se faufilent dans les bouchons tentaculaires de la capitale guinéenne.

En quatre ans, l’officier putschiste, qui a pris le pouvoir par un coup d’Etat, le 5 septembre 2021, s’est imposé comme un nouveau père de la nation, marchant dans les pas de Sekou Touré, héros de l’indépendance et premier président du pays, de 1958 à 1984.

Après avoir initialement promis de se retirer à l’issue de la période de transition, Mamadi Doumbouya a déposé en personne à la Cour suprême, le 3 novembre, son dossier de candidature à l’élection présidentielle du 28 décembre – scrutin qu’il semble assuré de gagner, tant il a dégagé la voie pour se faire élire. Une façon de donner un vernis de légitimité à son pouvoir pour les sept prochaines années, durée de son probable futur mandat, renouvelable une fois.

Cette prolongation annoncée inquiète ses opposants. Pour la plupart résignés, ou exilés, ils dénoncent la chape de plomb qu’il a, selon eux, fait tomber sur la Guinée. Pendant la transition, plusieurs voix dissidentes ont été réduites au silence et des radios ou télévisions privées ont été fermées. Des militants civils, ainsi qu’un journaliste et des militaires, ont disparu sans laisser de trace. Leurs proches et des organisations de défense des droits humains pointent la responsabilité de la junte dans ces affaires, laquelle s’en est toujours défendue.

Famille binationale

Ces accusations n’empêchent pas la France de coopérer avec Mamadi Doumbouya. Contrairement à ses homologues sahéliens, en rupture de ban avec Paris, l’imposant putschiste guinéen a toujours été jugé fréquentable par les autorités françaises.

Une attitude conciliante qui laisse sceptique l’écrivain Tierno Monénembo, une des rares personnalités à encore oser critiquer publiquement la junte. « Mamadi Doumbouya est choyé par Emmanuel Macron (…). Comment des gens préconisant la démocratie peuvent-ils ainsi soutenir des dictateurs ? », s’insurge l’auteur de 78 ans, lauréat du prix Renaudot en 2008, qui a longuement résidé en France avant de revenir s’installer en Guinée, dans les années 2010.

Entre le général Doumbouya et la France, l’histoire est d’abord personnelle. Caporal du deuxième régiment étranger d’infanterie de Nîmes dans les années 2000, l’ancien légionnaire, promu, en 2018, commandant des forces spéciales guinéennes, a épousé une gendarme française de Valence, Lauriane Darboux, avec laquelle il a eu plusieurs enfants. Sa famille binationale a aujourd’hui un pied dans chaque pays. Francophile, s’exprimant en français, il coopère « naturellement » avec Paris, souligne un de ses proches, sous couvert de l’anonymat.

Tendue sous l’ex-président Alpha Condé (2010-2021), la relation bilatérale franco-guinéenne a retrouvé des couleurs avec son tombeur. Sur le plan économique, la France, absente des mines de fer et de bauxite qui font la richesse nationale, demeure un moindre partenaire comparé à la Chine, aux Emirats arabes unis ou à l’Inde. Mais l’objectif affiché est d’accroître ses parts de marché en Guinée, pays aux perspectives florissantes attirant les investisseurs étrangers, tant dans les secteurs public que privé.

La banque publique d’investissement Bpifrance et l’agence d’expertise technique Expertise France soutiennent ainsi différents projets étatiques, notamment dans le secteur de la santé. Par ailleurs, plusieurs grandes entreprises françaises (Total, Orange, Canal+…) sont bien implantées localement et Air France propose un à deux vols par jour entre Paris et Conakry.

Ligne souverainiste

Plus étroite, la coopération militaire alimente les critiques. La France mène en effet des missions de formation et de « renforcement des capacités » des forces de défense et de sécurité guinéennes. Huit coopérants demeurent en permanence à Conakry et des officiers guinéens viennent se former dans des écoles françaises. Selon une source sécuritaire, sous couvert de l’anonymat, les forces spéciales françaises apportent aussi une « assistance militaire technique » discrète à leurs homologues guinéennes, corps d’origine du général Mamadi Doumbouya et cœur de son pouvoir militaire.

Côté guinéen, la relation nouée avec la France est pleinement assumée. Mamadi Doumbouya perpétue la doctrine diplomatique de Sekou Touré, celle d’une Guinée souveraine, qui traite avec tout le monde et se tient à équidistance de tous ses partenaires. « Nous ne sommes ni pro ni anti-Américains, ni pro ni anti-Chinois, ni pro ni anti-Français, ni pro ni anti-Russes (…). Nous sommes pro-Africains », avait déclaré, en 2023, le chef de la junte guinéenne à la tribune des Nations unies.

Deux ans plus tard, dans sa résidence de Conakry, son premier ministre, Bah Oury, conserve cette ligne souverainiste. « Nous sommes pragmatiques. Notre objectif est de faire prévaloir les intérêts de la Guinée. Nous avons besoin de tous nos partenaires, y compris la France, avec laquelle notre coopération peut se développer davantage », déclare-t-il au Monde. Dans une Afrique subsaharienne francophone où Paris n’a cessé de perdre du terrain ces dernières années, certains diplomates français plaident, mais ne le disent pas tout haut, pour une realpolitik sans états d’âme.

A leurs yeux, mieux vaut coopérer avec cette junte imparfaite plutôt que de la voir se rapprocher de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) – confédération formée par les putschistes au pouvoir au Mali, au Burkina Faso et au Niger, soutenue par Moscou – et offrir à ces pays une stratégique ouverture maritime. De ce point de vue, le but n’est que partiellement atteint, le port de Conakry ayant permis le transit de plusieurs importants convois de matériel militaire russe à destination du Mali depuis janvier.

Divorce déjà consommé

Assurant qu’ils continuent à faire passer des messages en faveur de la démocratie et des droits universels à leurs interlocuteurs guinéens, les responsables français estiment également qu’en dépit des apparences militaires, la comparaison avec les pays de l’AES n’est guère valable. « Au Sahel, la France a été attaquée, le sentiment antifrançais est cultivé, les Russes sont présents à tous les étages et les putschistes refusent d’organiser des élections. Cela n’est pas le cas en Guinée », abonde un homme d’affaires influent à Conakry.

L’histoire et la trajectoire de ces pays diffèrent également, expliquant en partie leurs divergences actuelles. En 1958, la Guinée de Sekou Touré avait été la seule colonie africaine à voter non au projet de Communauté française proposé par le général de Gaulle et à accéder à l’indépendance. S’ensuivirent des relations tendues, qui seront même officiellement rompues entre 1965 et 1975.

Le pays n’a par ailleurs jamais accueilli de base militaire française et n’a pas le franc CFA pour monnaie, contrairement aux trois pays de l’AES. Autant de facteurs historiques et symboliques montrant que le divorce avec l’ancienne puissance coloniale a déjà été consommé en Guinée et qu’il n’est donc pas nécessaire, pour les dirigeants guinéens, de le prononcer une seconde fois.

Mamadi Doumbouya estime également que le recours à la Russie, choix fait par ses homologues sahéliens de l’AES et déjà expérimenté par son pays durant la guerre froide, est une mauvaise stratégie. Cette distance vis-à-vis de Moscou explique que les relations de l’officier guinéen avec le général Assimi Goïta, chef de la junte malienne, voisin et parrain de la confédération sahélienne, soient désormais crispées. Ce qui n’empêche pas la Guinée, au nom, selon un ministre, de la « solidarité africaine » et de son « sens des responsabilités », de continuer à laisser passer des marchandises vers le Mali – et notamment des armes russes destinées à la lutte contre les groupes djihadistes.

[Source: Le Monde]