Israël-Iran : Donald Trump s’autocongratule d’avoir obtenu un cessez-le-feu encore très incertain

Le président américain a mis en scène lundi soir son rôle dans la résolution supposée du conflit entre l’Etat hébreu et la République islamique. Sur le terrain, des explosions étaient entendues à Téhéran, et des missiles iraniens ont fait au moins quatre morts à Beersheba.

Juin 24, 2025 - 09:39
Juin 24, 2025 - 09:42
Israël-Iran : Donald Trump s’autocongratule d’avoir obtenu un cessez-le-feu encore très incertain

Ne pas se soumettre aux règles de la cohérence offre beaucoup de souplesse. Le message posté par Donald Trump, lundi 23 juin, sur son réseau Truth Social casse tous les codes. Peu après 18 heures, le président américain annonçait, seul, la conclusion d’un cessez-le-feu entre l’Iran et Israël. La nuit profonde régnait au Moyen-Orient. Donald Trump, lui, assurait que les deux parties au conflit – auxquelles il est légitime d’associer les Etats-Unis – cesseraient les hostilités de façon graduée après d’ultimes échanges. « Félicitations à tout le monde ! », lançait-il, comme s’il s’agissait d’une compétition sportive entre enfants, où l’effort primait le résultat. Pendant ce temps, des explosions massives étaient entendues à Téhéran, avant que des missiles iraniens ne soient tirés vers Israël, faisant au moins quatre morts à Beersheba, dans le sud du pays.

Exactement quarante-huit heures après l’annonce des bombardements américains sur trois sites nucléaires de l’Iran (Natanz, Ispahan et Fordo), Donald Trump détaillait la chorégraphie de la paix, négociée par l’intermédiaire du Qatar. L’Iran s’engagerait d’abord dans cette voie, puis après 12 heures de respect du cessez-le-feu, Israël se joindrait au mouvement, apportant ainsi « une fin officielle à la guerre des 12 jours ». Car le président américain prétend aussi nommer les événements pour la postérité, dans laquelle il réclame une place centrale. Dans l’hypothèse où l’Iran et Israël respecteraient cette cessation des combats, Donald Trump voulait « féliciter les deux pays » pour « l’endurance, le courage et l’intelligence » dont ils ont fait preuve, pour en arriver là. « C’est une guerre qui aurait pu se poursuivre pendant des années, et détruire entièrement le Moyen-Orient, mais cela n’a pas été le cas, et ça n’arrivera jamais ! »,se réjouissait le président américain, en concluant par un « que Dieu bénisse Israël, que Dieu bénisse l’Iran », qui parachevait la confusion générale.

D’une part, le commandant en chef des forces armées américaines a organisé un bombardement à haut risque de sites iraniens stratégiques, au cœur de la souveraineté de ce régime hostile. Une action unilatérale spectaculaire, au mépris du droit international et des consultations avec les autres pays engagés dans le dossier du nucléaire iranien. De l’autre,« le président de la paix », selon sa propre qualification, assure qu’il n’est pas question d’engager son pays dans un nouveau conflit à l’étranger, comme s’il pouvait maîtriser tous les paramètres et les calculs des autres acteurs.

Donald Trump a menacé le Guide suprême, Ali Khamenei, d’un possible assassinat, appelant ouvertement à un changement de régime en Iran, tant espéré par Israël. Vingt-quatre heures plus tard, le dirigeant américain badine, vante les vertus de la paix, dessine un Moyen-Orient prospère auquel il voudrait associer Téhéran. « Les deux nations verront énormément d’amour, de paix et de prospérité dans leur avenir », assurait Donald Trump lundi soir.

Ce goût pour la contradiction et l’imprévisibilité de ses engagements successifs rendent le magnat illisible, aussi bien pour les alliés de son pays que pour ses adversaires. Cela lui permet aussi, en permanence, de dicter le récit du moment, en attendant que la réalité s’y conforme, ou pas. Dans la soirée, le ministre iranien des affaires étrangères, Abbas Araghtchi, niait sur X l’existence d’un accord formel, tout en confirmant une disponibilité à un cessez-le-feu, « si le régime israélien arrête son agression illégale contre le peuple iranien » avant l’aube, mardi. Dans ce cas, l’Iran n’aurait pas l’intention de répondre davantage par les armes.

Hâte à proclamer un cessez-le-feu

Vu le déséquilibre des forces en présence, c’est Israël qui avait le plus à perdre en arrêtant son offensive. Son coût financier est très lourd à supporter, mais les résultats enregistrés depuis le 13 juin sont inestimables pour l’Etat hébreu. Si Benyamin Nétanyahou acceptait un cessez-le-feu, forcément fragile, il serait modelé conformément à ses intérêts : avec la possibilité probable de reprendre des raids aériens à l’avenir, en cas de suspicions d’activités nucléaires clandestines.

Au moment même où le message de Donald Trump était publié, le vice-président J. D. Vance apparaissait sur le plateau de la chaîne Fox News. Souriant, habitué à l’improvisation, l’ancien sénateur de l’Ohio ne masquait pas sa satisfaction, lui qui était hostile à l’idée d’un nouvel engagement militaire à long terme, à l’étranger. « Nous avons détruit le programme nucléaire iranien, disait J. D. Vance. Zéro Américain est mort. C’est une chose incroyable. Les Américains, qu’ils soient démocrates ou républicains, nous devrions fêter ça. »

Le vice-président J. D. Vance lors de son entretien avec Bret Baier sur la chaîne Fox News à Washington, le 23 juin 2025.

Cet optimisme sur le résultat des frappes n’est pas du tout partagé par les experts. Plus les membres de l’administration Trump revendiquent une réussite totale, et plus les questions s’accumulent sur le sort des quelque 400 kg d’uranium hautement enrichi dont disposait l’Iran. Une matière aisément transportable et dissimulable. Si la destruction, même partielle, de Natanz, Ispahan et Fordo rebat les termes des négociations avec Téhéran au sujet de son programme, elle n’allonge pas forcément la distance à parcourir jusqu’à la bombe, d’autant que la détermination du régime pourrait être renforcée par cette « guerre de 12 jours ». Le risque d’un basculement complet du programme nucléaire iranien dans la clandestinité existe. A aucun moment le régime n’a semblé prêt à abandonner son activité d’enrichissement, même au profit d’un éventuel consortium international impliquant des alliés comme la Russie.

« Etes-vous certain de l’emplacement de tout l’uranium hautement enrichi ? », demanda le présentateur de Fox News. Le vice-président ne se démonta pas : « Je pense en fait que ce n’est pas la question devant nous. L’uranium est quelque chose qui existe en très grande quantité. Je pense que notre principal objectif était d’enterrer l’uranium et je pense que l’uranium a été enterré. » Aucun élément satellitaire ne permet de conclure que l’uranium enrichi se trouvait bien à Natanz et Fordo, ni son enfouissement sous les débris.

Cette hâte à déclarer la fin des capacités nucléaires iraniennes et à proclamer un cessez-le-feu témoignait d’une préoccupation essentielle de l’administration Trump : ne pas nourrir l’idée qu’elle alimentait l’instabilité au Moyen-Orient. Elle rappelait aussi un autre moment historique, en juin 2018, lorsque le président était revenu à Washington, après sa rencontre transgressive et très médiatisée avec le dictateur Kim Jong-un. Donald Trump proclamait alors : « Il n’y a plus de menace nucléaire venant de la Corée du Nord. » Il vantait aussi le « grand potentiel » de ce pays. On estime aujourd’hui que la Corée du Nord possède cinquante têtes nucléaires, sans compter son large programme balistique.

Trump ajoute l’humiliation à la débandade de l’Iran

Mais pour l’administration Trump, les slogans comptent davantage que les nuances opérationnelles. J. D. Vance a aussi noté sur Fox News que les bombes américaines larguées samedi étaient « un peu plus grosses » que les missiles déclenchés en réponse par l’Iran. Lundi, le régime théocratique a attaqué la base aérienne américaine d’Al-Udeid, au Qatar. Treize missiles ont été interceptés sans difficulté selon l’armée, tandis qu’un autre, inoffensif, s’écrasait. La base, qui en tant normal accueille près de 10 000 soldats, était très largement dépeuplée. Toute la contre-attaque iranienne était télégraphiée, calibrée, sans aucune surprise. Elle était pensée pour n’être que de l’affichage. Cette démonstration supposée de force était une confession de faiblesse.

La dissuasion iranienne est en miettes. L’humiliation est complète. Le pays ne dispose plus de systèmes de défense aérienne, ne contrôle plus ses propres cieux, livrés aux avions de chasse israéliens. Mais Donald Trump a trouvé judicieux d’ajouter l’humiliation à la débandade, en félicitant publiquement Téhéran pour sa « réponse très faible ». Dans un message publié plus tôt lundi, il écrivait : « Je veux remercier l’Iran pour nous avoir avertis au préalable, ce qui a rendu possible d’éviter toute perte de vie, et personne n’a été blessé. » J. D. Vance était sur le même registre, en estimant que les Iraniens « ne sont simplement pas très bons pour faire la guerre ».

Alors même qu’une incertitude régnait sur le respect du cessez-le-feu et la réussite réelle de l’opération américaine « Marteau de minuit », le mouvement MAGA (Make America Great Again) réclamait prestement des lauriers pour son leader, sur les réseaux sociaux. Et en particulier, le prix Nobel de la paix. Il s’agit d’une obsession ancienne de Donald Trump, furieux de son attribution à Barack Obama en 2009.

Le 20 juin, sur Truth Social, le président américain se livrait à une longue complainte au sujet de tous ses succès diplomatiques supposés. « Quoi que je fasse, je n’aurai pas de prix Nobel de la paix, écrivait-il, notamment sur Russie/Ukraine, et Israël/Iran, quelle qu’en soit l’issue, mais les gens savent, et c’est tout ce qui compte pour moi ! »Visiblement non. Lundi soir, dans un élan classique de ferveur, son comité de soutien officieux s’organisait. Le podcasteur conservateur Benny Johnson, l’éditorialiste Batya Ungar-Sargon, du site The Free Press, ou encore l’influent Charlie Kirk, patron de l’organisation Turning Point USA, réclamaient tous le Nobel pour le président américain.

Ces derniers mois, des membres de son administration, comme le secrétaire au Trésor, Scott Bessent, ou l’ex-conseiller à la sécurité nationale Mike Waltz, avaient fait de même. Le message le plus court publié par Donald Trump lundi disait son état d’esprit : « Félicitations au monde, c’est le temps de la paix ! » On aurait juré que le président se congratulait lui-même.