« Foudroyant » , « Terrible » , « Merveilleux » - les noms des navires de guerre dans la France du XVIIIe siècle
Voici une belle anecdote maritime : un article sur la signification des noms donnés aux navires de la marine française au cours du XVIIIe siècle.

Au total, 1376 navires de guerre et frégates français ont été lancés entre 1661 et 1815, avec 969 noms différents (l'étude porte sur 862 d'entre eux). (Les noms peuvent être des substantifs ou des adjectifs. Par tradition, les navires de ligne recevaient des noms masculins et les frégates des noms féminins. Les noms étaient souvent mythologiques, mais rarement religieux. On peut distinguer quatre thèmes principaux : la mer elle-même, sa navigation et ses dangers ; la guerre, le pouvoir souverain et la géographie.
- Les noms liés à la mer
Sans surprise, les noms liés à la mer constituent un thème récurrent : Marin et Pélican appartiennent à la flotte du XVIIe siècle ; le premier navire français à porter le nom d'Océan est lancé en 1756. Sous Louis XIV, les navires reçoivent volontiers des noms évoquant leurs qualités et leur maniabilité (Adroit, Ardent, Excellent, Léger, Prompt). Ces noms disparaissent pour les vaisseaux de ligne sous la Régence mais redeviennent courants pour les frégates, reflétant leur nouvelle importance dans la tactique navale. La rapidité est évoquée par des noms associés au vol (Oiseau, Hirondelle, Aigrette). Les noms mythologiques, associés à la mer, représentent 145 navires et sont plus ou moins belliqueux selon les époques, parmi lesquels Neptune, Néréide, Nymphe, Amphitrite, Protée, Thétis, Jason et Argonaute. Pas moins de six navires différents portaient le nom de Trident. Une autre catégorie concerne les cieux (Lune, Etoile, Vénus, Astrée, Pléide) et les vents (Aquilon, Borée, Eole, Zéphir). Les dangers de la mer peuvent être évoqués directement (Ecueil, Orage, Tourbillon) ou par référence mythologique (Sirène, Méduse) ; il en va de même pour les noms liés au hasard et à la magie, qu'il s'agisse des caprices de la météo ou des fortunes de guerre (Destin, Fortune, Hasard, Circé, Médée, Magicienne, Fée).2. Les noms liés à la guerre
Les navires de combat reçoivent naturellement des noms qui évoquent l'agressivité, le courage et la puissance. Les animaux appropriés - Aigle, Lion, Tigre et Dragon - sont couramment choisis, là encore tout au long de la période ; Faucon est un navire du XVIIe siècle, tandis que Léopard et Panthère apparaissent pour la première fois au XVIIIe. Les qualités belliqueuses - Brave, Conquérant, Foudroyant, Invincible, Terrible Tonnant, Puissant, Redoutable - et les figures mythiques guerrières - Hercule, Achille, mais aussi Diane, Médée et Hermione - sont également souvent choisies. La fréquence des références guerrières dépend de la politique de l'époque. La reprise de la construction navale sous la Régence, de 1719 à 1725, s'accompagne de noms mythologiques tels que Phénix, Ferme, Espérance et Solide qui expriment l'aspiration du régime à une reconstruction pacifique. En revanche, les noms belliqueux se sont multipliés après la guerre de Sept Ans, à mesure que les conflits navals prenaient de l'importance ; il n'est donc pas surprenant que ces noms soient associés à des navires de ligne lourdement armés. La République préférait les guerriers romains tels que Brutus, Caton, Trajan et Timoléon, ou les noms directement agressifs (Canonnière, Furieuse, Guerrière).
3. Noms relatifs à la souveraineté
Ils ne représentent que 42 des noms étudiés, mais constituent un thème continu tout au long de la période. Sous l'Ancien régime, les attributs de la royauté sont souvent choisis : Couronne Diadème, Sceptre, Fleur de Lys. La flotte de Louis XIV comptait un Favori et un Courtisan. Les noms royaux ne sont pas en reste : cinq navires entre 1666 et 1738 s'appellent le Bourbon ; il y a aussi le Royal Dauphin et le Royal Louis et, pour Louis XV, Le Bien Aimé. La naissance du duc de Bourgogne est marquée par le changement de nom d'un navire en construction à Rochefort. Entre 1703 et 1715, il y eut un Toulouse pour l'Amiral de France ; sous la Régence, un Duc d'Orléans pour le Régent et une Elisabeth pour sa mère. En 1783 encore, Les deux frères désignent les frères de Louis XVI qui ont financé le navire. Les ordres royaux de Saint-Michel et de Saint-Esprit ont également fourni les noms d'une demi-douzaine de navires différents.
Relativement peu de navires portent le nom de personnes autres que celles de la famille royale. Ce n'est qu'en 1786 que l'on commence à honorer les héros de la marine : Duquesne est le premier, suivi de Tourville, Jean Bart et Duguay-Trouin en 1787 et 1788. La Révolution honore ses martyrs - Marat, Barra, Viala, et favorise les défenseurs de la liberté : Franklin, Guillaume Tell, Jean-Jacques Rousseau. Pendant la Révolution et l'Empire, la flotte s'agrandit et les navires perdus sont constamment remplacés, avec 269 navires et frégates lancés entre 1791 et 1814. Les navires changent rapidement de nom, souvent jusqu'à cinq fois. Plus de la moitié des noms de navires et de frégates sont utilisés pour la première fois au cours de cette période. La République impose naturellement son propre programme politique : Monarque, Majestueux, Couronne cèdent la place à Indivisible, Jacobin, Convention, Révolution, voire Tyrannicide. Les Etats de Bourgogne deviennent la Montagne ; Majestueux, devient Républicain ; Couronne, d'abord Révolution, puis Ça ira. Couronnes et sceptres sont temporairement remplacés par la Cocarde et la Pique. Les frégates comprennent une Incorruptible et une Régénérée. (Malheureusement, Napoléon rétablit bientôt les références royales, avec l'ajout de l'Impérial...)
4. Noms relatifs à des lieux et à des caractéristiques géographiques
Avant 1671, une vingtaine de vaisseaux portaient des noms de provinces ou de territoires récemment acquis. Mais dans la marine réorganisée par Louis XIV, 65 des 83 vaisseaux sont rebaptisés. Les noms lient plus étroitement la marine à la Couronne, soit par leur association directe avec la royauté, soit par le remplacement des références à des personnes privées et à des localités par des noms plus génériques. Les noms géographiques ne sont rétablis qu'après la guerre de Sept Ans, lorsque, à l'instigation de Choiseul, les régions et les corps français commencent à financer la construction de navires particuliers. 18 navires de ce type sont construits entre 1761 et 1766, dont 10 portent des noms faisant référence à leurs donateurs. Une stratégie similaire est employée après la guerre d'indépendance américaine, donnant naissance à des navires nommés Commerce de Bordeaux (1784), Commerce de Marseille (1783) ou encore Etats de Bourgogne (1786).
À l'époque impériale, les références géographiques reviennent, mais dans un esprit différent : elles commémorent désormais largement les batailles terrestres de Napoléon et les territoires annexés.
[Source: Rodama1789]