Roger Lumbala: ce qu'il faut savoir sur l'ex-chef rebelle congolais jugé en France pour crimes contre l'humanité
Plus de vingt ans après les faits et à des milliers de kilomètres de la République démocratique du Congo (RDC) où ils se sont déroulés, l'ex-chef de guerre congolais Roger Lumbala est jugé à Paris à partir de ce mercredi 12 novembre pour complicité de crimes contre l'humanité dans le nord-est de son pays en 2002-2003. Un procès au titre de la compétence universelle de la justice française qui va mettre au jour des violences inouïes faites aux femmes par des belligérants.
C'est un procès inédit qui se tient en France à partir de mercredi 12 novembre devant la Cour d'assises de paris: celui d'un ancien chef d'un groupe rebelle de République démocratique du Congo jugé pour complicité de crimes contre l'humanité. De 2002 à 2003, dans le nord-est de son pays, Roger Lumbala et ses hommes sont accusés d'avoir commis des atrocités, notamment contre des populations civiles, usant du "viol comme une arme de guerre" dans un conflit pour le pouvoir et les richesses naturelles.
Le Congo oriental est en proie depuis près de 30 ans à des guerres qui ont fait, directement et indirectement (maladies, destruction des infrastructures, etc.), des millions de morts et de déplacés. "Il s'agit là du conflit le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale", écrit le Prix Nobel de la Paix 2018, le gynécologue Denis Mukwege dans "La Force des femmes".
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Qui est Roger Lumbala?
Ancien député et sénateur d'opposition, ex-ministre, aujourd'hui âgé de 67 ans, Roger Lumbala a été arrêté fin 2020 et incarcéré en France depuis janvier 2021 à la prison de la Santé à Paris. Pendant la deuxième guerre du Congo (1998-2003), Roger Lumbala dirigeait le Rassemblement des Congolais démocrates-National (RCD-N), groupe armé fondé en 1998 qui avait son fief au nord-est du pays.
Le RCD-N est l'un des groupes parmi la dizaine alors en guerre dans le Congo oriental. Le conflit oppose des milices rebelles soutenues par l'Ouganda ou le Rwanda, aux factions loyales à Joseph Kabila qui, à Kinshasa, avait succédé à la présidence à son père Laurent-Désiré, assassiné en 2001.
Tous se battaient pour contrôler les richesses naturelles et obtenir une légitimité sur la scène politique nationale. Soutenu par l'Ouganda, à l'instar de son allié de l'époque du Mouvement de libération du Congo (MLC) de l'actuel ministre congolais des Transports Jean-Pierre Bemba, le RCD-N de Roger Lumbala lance à l'été 2002 une offensive contre des groupes pro-gouvernementaux.
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Que reproche-t-on à Roger Lumbala ?
Lors de cette offensive en 2002, les hommes du RCD-N se sont alors rendus coupables de viols, exécutions sommaires, enlèvements, mutilations et cannibalisme dans l'Ituri et le Haut-Uélé, principalement contre les ethnies Nande et Twa (Pygmées) dans cette région frontalière de l'Ouganda, selon plusieurs rapports des Nations unies.
Dans leur ordonnance de mise en accusation consultée par l'AFP, les magistrats instructeurs relèvent que des "pillages, viols et exécutions sommaires ont servi d'instruments de guerre". Ils dépeignent "un schéma généralisé de violences dirigées contre les femmes commises en toute impunité".
Roger Lumbala rejette toute responsabilité dans ces atrocités, assurant n'être qu'un "homme politique n'ayant disposé d'aucun militaire sous ses ordres", selon l'enquête. Il avait déjà réfuté ces accusations dès un premier rapport de l'ONU en 2003. De nombreux témoignages inverses, ainsi que des photographies le montrant en uniforme dans la région au moment où les crimes étaient commis, lui ont été opposés durant les investigations.
Pour les magistrats instructeurs, qui n'ont pu se rendre sur place, il était bel et bien "un chef de guerre à la tête de forces armées", dont l'"objectif premier" était de "mettre la main sur les matières précieuses de la région", notamment les diamants. Son mouvement, le RCD-N, était "une entité belligérante à part entière". Sous ce statut, il aurait "laissé les combattants placés sous son autorité et son contrôle commettre des crimes contre l'humanité" sans chercher à les empêcher.
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Pourquoi Roger Lumbala est jugé à Paris?
Lumbala dispose d'une résidence à Paris, où il a été réfugié, ce qui a permis d'engager des poursuites au titre de la compétence universelle de la justice française pour les crimes contre l'humanité.
L'enquête a été déclenchée en 2016 après un signalement de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) qui venait de refuser le renouvellement de son statut de réfugié, obtenu en 2013, sept ans après une candidature de Lumbala à la présidentielle dans son pays, recueillant moins de 1% des voix.
Ce dossier suivi par le pôle crime contre l'humanité du parquet antiterroriste de Paris, est le premier jugé à Paris concernant la République démocratique du Congo. Une trentaine de victimes sont parties civiles, sans que l'on sache combien viendront effectivement témoigner, après une enquête émaillée d'intimidations de plaignants et de témoins.
Poursuivi pour complicité de crimes contre l'humanité, Roger Lumbala encourt la réclusion criminelle à perpétuité. La défense de Roger Lumbala demande l'extradition de son client en République démocratique du Congo pour qu'il y soit jugé. Dans un communiqué, elle rappelle qu'une demande d'extradition formelle par la RDC depuis 2013 est restée sans réponse. La défense de Lumbala estime que "la France détourne la compétence universelle et bafoue la souveraineté de la RDC".
À Kinshasa, les partisans de Lumbala du RDC-N ont manifesté lundi 10 novembre lors d'une marche de soutien jusqu'à l'ambassade de France où ils ont tenu un sit-in. Ils réclament l'extradition de Roger Lumbala.
Pour sa part, après dix ans de détention, Jean-Pierre Bemba avait, lui, été acquitté en 2018 en appel par la Cour pénale internationale (CPI) pour les crimes commis par le Mouvement de libération du Congo (MLC) en Centrafrique.
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Qu'est-ce que l'opération "Effacer le tableau"?
Roger Lumbala devra notamment répondre des atrocités commises lors de l'opération dite "Effacer le tableau", lancée en octobre 2002 avec son allié, le Mouvement de libération du Congo (MLC), visant à contrôler un maximum de territoires.
L'opération "Effacer le tableau" a pour objectif de détruire des groupes alliés à Kinshasa mais aussi de "mettre la main sur les ressources naturelles" de la région, selon un rapport de 2010 de l'ONU.
Selon l'ordonnance qui renvoie Roger Lumbala devant la cour d'assises, le plan était bien "concerté", notamment parce que les combattants du RCD-N et du MLC ciblaient les civils en fonction de leur "origine ethnique". Ses partisans se désignaient comme "les effaceurs" et se sont livrés à des exactions dans le nord-est de la République démocratique du Congo, notamment des viols utilisés comme "instruments de guerre".
Selon le rapport Mapping de l'ONU, "Effacer le tableau" donnera lieu à de nombreuses exactions, mutilations, tortures, travail forcé, exécutions sommaires de civils et de combattants adverses. Et des "viols et violences sexuelles de façon systématique et généralisée" de femmes nande et pygmées bambuti, deux communautés soupçonnées de pencher du côté du RCD-ML pro-Kinshasa.
[Source: TV5Monde]